Tex Lecor était un géant, mais non immortel. Il est décédé à l'âge de 84 ans.

D'après Nathalie Beauchamp de la galerie Balcon d'art, qui s'occupait de la gérance de la carrière picturale de Tex Lecor, l'artiste serait décédé des suites de complications liées à une pneumonie.

Son ami depuis plus de 50 ans, Louis-Paul Allard a appris la triste nouvelle de «Loulou», la femme de Tex Lecor. D'après M. Allard, Tex Lecor a récemment subi un anévrisme et a été hospitalisé. Il s'est toutefois remis sur pied et était de retour à son atelier pour poursuivre son travail de peintre. Il aura travaillé à son oeuvre jusqu'à la toute fin.

Louis-Paul Allard n'aurait jamais cru perdre son ami de façon aussi subite. Les deux hommes avaient même prévu de se retrouver au cours des prochaines semaines pour un souper entre amis.

«Je n'ai jamais pensé que ce serait aussi rapide que ça. J'ai été touché et surpris parce que je ne m'attendais pas à ça», a confié M. Allard à La Presse canadienne.

«On va se souvenir de lui à tous les points de vue. C'est un être à 360 degrés. Un talent immense. Tout le monde va se souvenir de lui, soit par les toiles, les chansons ou les insolences. On en a pour un bout de temps avant de l'oublier», a ajouté celui qui l'a côtoyé à la radio de CKAC, puis à la télévision à l'émission «Y'a plein de soleil».

«Il était vraiment le dernier des vrais», a-t-il conclu en faisant référence au titre du premier succès en chanson de Tex Lecor paru en 1963.

Le maire de Montréal Denis Coderre a souligné son décès sur Twitter en publiant une vidéo de sa chanson Noël au camp.

Travailleur acharné

Il a lui a fallu galérer avant d'atteindre à la reconnaissance comme peintre, chanteur et animateur. De son vrai nom Paul Lecorre, il est né le 10 juin 1933 à Saint-Michel-de-Wentworth non loin de Lachute. Son père est d'origine bretonne et sa mère québécoise de souche normande. Il est l'aîné de trois enfants ans. Dès l'âge de raison, il se passionne pour le dessin et fait la joie de ses petits camarades avec ses illustrations. Il a de qui tenir, le père est peintre. Ce père qui lui donnera aussi le goût du large.

Paul va entreprendre des études au collège à Lachute, tenu par les Clercs de Saint-Viateur. Un de ses professeurs qui s'emballe pour son talent en dessin, est le propre frère du peintre Paul-Émile Borduas. Il va lui prodiguer ses encouragements à persister en peinture. Ce sera si vrai, que le jeune homme s'exilera à Montréal où il s'inscrit à l'École des Beaux-Arts de Montréal, rue Saint-Urbain. Il y fera ses classes durant six ans. Parmi ses mentors, Jacques de Tonnancour pour la peinture et Yves Ley, lui, se chargera des rudiments de l'illustration publicitaire. On ne sait pas. Si jamais la peinture ne fait pas vivre son homme, il pourrait se tourner vers la création publicitaire. À la fin c'est Stanley Cosgrove lui-même qui complètera sa formation. Lecorre est très influencé par Marc-Aurèle Fortin et le style du Groupe des Sept. Du premier, il peindra sur des fonds noir, bleu ou rouge.

La vie de bohème

En 1956, il loue un appartement rue Sainte-Famille qui sera en même temps son atelier. Par un curieux hasard, l'immeuble où il se trouve fait face à celui appartenant à la veuve du sculpteur Alfred Laliberté. Plus tard il transporte ses pénates rue Cherrier, pas très loin d'où vit le peintre Léo Ayotte. Les deux feront connaissance et deviendront même d'excellents amis. Lecorre estime son aîné en peinture pour ses choix de coloris. Ils mèneront ensemble la vie de bohème. Le futur Tex a de la difficulté à écouler ses peintures. Par contre il a plus de chance avec ses dessins. Mais il n'aura pas le temps de connaître la vie d'artiste maudit. Le destin mettra sur sa route un homme d'affaires grandement généreux, Alex Goldstein qui se prend d'affection pour lui. Il lui achètera chaque mois une bonne partie de sa production. Mais le peintre est un panier percé et dépense aussi vite l'argent gagné. 

Chansonnier

C'est en 1959 qu'il prendra le nom de Tex Lecor. La petite histoire veut qu'il ait été inspiré par les trois premières lettres qui étaient restées visibles après usure sur un ceinturon qu'il s'était procuré au cours d'un travail d'été dans l'Ouest canadien. En période estivale on l'a même vu en capitaine de caboteur le long des côtes de la Gaspésie qu'il affectionnait. 1960 le voit prendre ses quartiers au-dessus du restaurant Chez Queux dans le Vieux-Montréal, rue Saint-Paul. Le quartier vibre artistiquement. C'est le temps des boîtes à chansons.

Tex ne connaît aucune note de solfège, mais chante bien et s'accompagne à la guitare. Il faut dire que peu de temps auparavant, il avait rencontré le folkloriste Jacques Labrecque qui était responsable du catalogue des disques francophones chez London. Il produira un premier 45 tours Le grand Jos qui sera suivi d'un album Complexe de la chanson canayenne. Tex joue la carte du bûcheron un peu rebelle. Des enregistrements qui le feront connaître et qui lui ouvriront les portes des salles de spectacles. La production picturale est à son plus bas. Comme il n'a pas envie de se transformer en illustrateur pour une agence de pub avec des horaires de bureau, il préfère chanter. Si le peintre n'a pas encore atteint à la reconnaissance, le chanteur si. À telle enseigne que l'on peut dire qu'en 1967, année de l'Exposition universelle de Montréal. il était très connu du grand public.

Débuts à la télé et à la radio

En 1970 Télé-Métropole, la première station de télé privée du Québec le met sous contrat pour une émission Sous mon toit qui cartonnera jusqu'en 1976. Il devient aussi annonceur et on le verra dans plusieurs réclames publicitaires populaires. Entre-temps, en 1974, CKAC lui propose de joindre une équipe de joyeux lurons composée du pianiste Roger Joubert, Pierre Labelle et Louis-Paul Allard pour ce qui sera l'émission vedette de la station Le Festival de l'humour. Qui tiendra l'antenne durant 13 ans. Une production satirique sur l'actualité. Et Tex Lecor fera rire la province avec «Les insolences d'un téléphone» concept qui consistait à piéger des gens sans méchanceté. Il prenait la relève d'Yvan Ducharme, le créateur du genre.

Côté sentimental il va se marier en 1971 et s'établir à Sainte-Thérèse de Blainville. Mais pour le public, Tex c'est pour beaucoup l'interprète de ce hit Le Frigidaire en 1974 dont il avait acheté les droits à son auteur, George Langford. Chanson qui sera traduite en dix langues et qui rapportera de confortables royautés. Il n'a pas délaissé la peinture pour autant, car le galeriste Denis Beauchamp va lui offrir de s'occuper de la vente de ses tableaux. En 1976 l'artiste visuel présentera sa première exposition à la Galerie des peintres du Québec à Montréal. Autre fait marquant en télé, sa participation durant treize ans au sein de l'équipe de Y'a plein de soleil sur les ondes de Télévision Quatre-Saisons où il retrouvera les Joubert, Allard et Labelle du temps de CKAC et de Shirley Théroux. Une émission destinée aux aînés. 

Le goût des grands espaces

Tex a toujours entretenu l'image de virilité teintée de tendresse. C'était un amateur de Harley-Davidson. Il avait aussi son permis de pilote de monomoteur. Et rien ne lui faisait plus plaisir que d'aller dans le Grand Nord québécois pour aller chasser et pêcher et en rapporter des inspirations pour sa peinture. En Gaspésie, il fera la rencontre du peintre québécois d'origine florentine, Alberto Tommi qui le subjuguera pour les mêmes raisons que chez Ayotte, la brillance des coloris.  En 1987, une maison de production cinématographique, Iris-film lui demandera de devenir ambassadeur itinérant de la peinture canadienne. Le réalisateur Pierre Savard le filmera alors que Tex Lecor s'entretenait avec deux peintres pour chacune des dix provinces canadiennes visitées.

Il apprendra entre autres à quel point l'acrylique prend mal sur une toile dans l'air ambiant des Rocheuses. De ce voyage, on produira un album dans lequel on trouvera dix de ses oeuvres.

Nouvelle vie

Il abandonne officiellement la chanson en 1978 avec une version française de Lucille de Kenny Rogers. Il y aura un sursaut en 2004 avec un CD Je t'aime, mon dernier CD. Dans les années 90, il doit freiner son train de vie, lui qui a longtemps brûlé la chandelle par les deux bouts. Des problèmes cardiaques apparaissent. Il abandonnera l'alcool et se retirera dans la tranquillité de sa résidence de Saint-Louis-de-Terrebonne avec sa femme et ses trois enfants. En mars 2010, il sera fait membre de l'Ordre de la Pléiade de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Et ses peintures font maintenant partie des joyaux de tout bon collectionneur en peinture québécoise.

- Avec La Presse canadienne