Le ministre de la Culture, Luc Fortin, augmente de 4 millions le budget accordé au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). Cette somme, substantiellement moins élevée que les 40 millions réclamés par les artistes lors d'une manifestation en avril, constitue selon lui « un pas dans la bonne direction ». Condensé de notre entrevue.

Le 26 avril dernier, l'Assemblée nationale a adopté à l'unanimité une motion qui demandait à votre gouvernement d'accorder des sommes supplémentaires au CALQ dès cette année. Vous vous étiez engagé à regarder votre marge de manoeuvre ministérielle afin de voir ce que vous pouviez faire. Des centaines d'artistes ont également manifesté ce printemps pour réclamer un meilleur financement du CALQ. Que leur répondez-vous ?

D'abord, parlons un peu du budget que nous avons eu pour la culture au printemps dernier. On est passé de 684 à 703 millions ; c'est la plus forte augmentation du budget de mon ministère depuis 2008. À travers ça, le budget du CALQ est le plus gros poste de dépenses [du ministère de la Culture], si on exclut le service de la dette. On a eu quelques réactions, puisqu'il n'y avait pas d'annonce pour le CALQ. L'année dernière, nous avions toutefois octroyé 5 millions de façon ponctuelle pour soutenir la création jeunesse au CALQ. Nous avons demandé au Conseil du trésor que cette aide devienne régulière. Nous l'avons obtenu. [...] De cette somme, il y aura 3,3 millions de souplesse, que le CALQ pourra investir dans son programme [destiné aux organismes culturels], en plus des 4 millions supplémentaires que nous annonçons aujourd'hui.

Ainsi, le CALQ disposera dès cette année d'environ 7,3 millions supplémentaires afin de soutenir les organismes culturels. Cette augmentation est-elle permanente ou pourrait-elle être diminuée dans un prochain budget ?

Évidemment, le 4 millions, ce sont des crédits supplémentaires que je donne. On ne va pas l'enlever l'année prochaine, une fois que les organismes seront habitués à recevoir ce montant-là. Même chose pour le 3,3 millions : c'est là pour rester. Alors c'est un premier pas que nous faisons, et je n'oublie pas l'engagement à plus long terme que j'ai pris de faire du CALQ une priorité dans la politique culturelle que nous déposerons d'ici la fin de l'année. Les artistes auraient souhaité qu'on ajoute 40 millions, mais je pense, en toute honnêteté, qu'ils devraient voir dans notre annonce un pas dans la bonne direction. Je m'étais engagé à faire un geste, on le fait à la hauteur de nos moyens, à la hauteur de la capacité des Québécois. Si ça ne répond pas nécessairement à la demande des artistes, ça répond à celle du CALQ.

Le CALQ veut consacrer le quart de son enveloppe aux nouveaux « joueurs », en faisant fi du critère d'historicité, qui donne beaucoup de poids aux organismes subventionnés depuis plusieurs années. Êtes-vous à l'aise avec cette nouvelle orientation ?

Mais oui, mais oui ! Malheureusement, dans plusieurs programmes du Ministère, que nous sommes en train de revoir, il y a toujours le critère d'historicité : ceux qui sont là depuis longtemps ont des sommes assurées, alors qu'il est plus difficile pour les nouveaux joueurs de percer et d'obtenir une subvention de l'État. Or, ce n'est pas parce que tu es plus récent que tu es moins bon et moins pertinent. L'argent supplémentaire qu'on injecte va permettre au CALQ d'atteindre son objectif.

Les artistes, pendant la manifestation, ont réitéré le rôle qu'ils jouent dans la société, tant sur le plan de l'intégration sociale, de la diversité culturelle que de leur contribution à l'économie québécoise. Quel rôle l'artiste joue-t-il dans la société, selon vous ?

Il est fondamental dans la culture, et la culture est le ciment de notre identité. Les artistes jouent aussi un rôle de cohésion sociale, tout en nous reflétant à l'étranger. On se doit donc de les soutenir. Mais en même temps, on le fait à la hauteur de nos moyens. Peut-être que certains seront déçus - j'en suis totalement conscient -, mais il faut voir ça comme un pas dans la bonne direction. La croissance des dépenses en culture est supérieure cette année au taux d'inflation. Si tu regardes la restructuration qui a été accomplie ces dernières années, des efforts ont été faits en culture, mais mon ministère a été plutôt épargné par rapport à ce qui a été fait ailleurs. Nous, on est à 1 % du budget de l'État québécois, et ça, c'est juste mes crédits à moi. On investit en culture dans d'autres ministères également.

Le CRTC a annoncé plus tôt ce printemps ses décisions sur le renouvellement des licences des grands groupes de télévision de langue française. Vous avez rapidement réagi en écrivant à la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, que Québec allait demander une annulation ou une révision de cette décision, qui est moins contraignante envers la production de contenu original francophone. Avez-vous parlé avec le président du CRTC, Jean-Pierre Blais ?

Non, ce n'est pas lui mon interlocuteur, c'est Mélanie Joly. On a jusqu'au 29 juin pour produire notre mémoire, qui sera déposé à temps. Je m'attends à une réponse positive de la part du gouvernement fédéral. Jean-Pierre Blais dit que sa décision est incomprise. Mais justement, on l'a très bien compris quand il dit qu'il pourrait y avoir « potentiellement » plus d'argent pour les productions originales francophones. On ne veut pas que ce soit potentiellement plus, mais obligatoirement plus. Du doublage, ça coûte moins cher [que du contenu original], et c'est vrai qu'il y a plus d'obligations pour avoir du contenu canadien. Mais en même temps, il n'y a pas de garantie. On est dans une situation linguistique minoritaire au Canada, alors on doit s'assurer que la culture québécoise rayonne. Me faire dire qu'il y aura « potentiellement » plus de contenu francophone, ça ne me satisfait pas, ça ne me rassure pas et c'est pourquoi on maintient notre démarche malgré sa sortie.