Liza Frulla est une amoureuse des arts. Ancienne ministre de la Culture à Québec, puis ministre du Patrimoine canadien à Ottawa dans les années 2000, c'est à elle qu'on doit notamment la première politique culturelle du Québec. Plus tôt ce mois-ci, elle a été élue présidente de Culture Montréal, organisme voué à sensibiliser les décideurs au rôle central de la culture dans le développement de la métropole. Que pense-t-elle des enjeux de l'heure?

Votre cahier des charges est bien rempli. Alors que vous occupez le poste de directrice générale de l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec, vous avez été élue présidente de Culture Montréal. Pourquoi vouliez-vous obtenir ce mandat?

D'abord, ça m'attirait de travailler avec des gens de grande qualité - je pense notamment à Ségolène Roederer [de Québec Cinéma], à Alain Saulnier [de l'Université de Montréal, anciennement de Radio-Canada], qui a aussi été mon patron par le passé, ou bien à Dinu Bumbaru [d'Héritage Montréal]. Ensuite, Culture Montréal est une organisation de réflexion pour amener Montréal encore plus loin comme métropole culturelle. On ne donne pas de subventions, on brasse des idées. C'est donc hautement intellectuel et ça m'interpellait.

Vous avez longtemps été dans l'action, notamment comme ministre tant au provincial qu'au fédéral. Alors que Québec et Ottawa renouvellent leurs politiques culturelles, j'aimerais avoir votre son de cloche. Que doit-on défendre, en tant que métropole culturelle?

Nous avons aujourd'hui des moyens qui n'existaient pas avant. C'est ce qu'on appelle le numérique. Maintenant, il faut faire attention: parler du «numérique», c'est un buzz word. Tu as juste à dire ce mot et les gens s'imaginent que tu es dans l'air du temps. Pour moi, le numérique est d'abord et avant tout un moyen. Mais ce n'est pas le moyen qui doit imposer une vision, mais plutôt l'inverse. Les nouvelles politiques culturelles doivent expliquer comment utiliser le numérique pour servir une vision.

Justement, quelle est la vision de Liza Frulla quand elle pense au numérique et aux politiques culturelles?

Le numérique démocratise l'accès à la culture. Aujourd'hui, pratiquement tout est disponible au bout de nos doigts. On parle entre autres beaucoup de streaming. Si c'est plutôt difficile pour les créateurs parce que ça remet en question la Loi sur le droit d'auteur, c'est formidable pour les interprètes. Ça les fait connaître et rayonner à l'extérieur de leur milieu. Il faut par contre trouver un équilibre entre ces deux réalités. Il faut que ça soit juste pour tout le monde. Le défi du numérique, c'est ça: une question de justice.

Vous parlez d'accessibilité des arts. Il est vrai que les nombreuses applications mobiles permettent un accès plus facile aux contenus. Or, comment peut-on encourager les citoyens à consommer des produits culturels québécois, alors que cette accessibilité ouvre la porte à plusieurs autres marchés qui étaient autrefois inaccessibles?

C'est toujours une question de qualité. Et au Québec, nous avons des produits culturels de qualité internationale faits avec des moyens très, très raisonnables. Il faut donc pouvoir maintenir ce niveau de qualité. Vient ensuite la question de la promotion. Québec et Ottawa réfléchissent actuellement à cette question. Nous, à Culture Montréal, on va s'y mettre aussi.

Si on pense à notre production télévisuelle, son financement est en partie assuré par le Fonds des médias du Canada, auquel contribuent le gouvernement canadien et les distributeurs de services par câble et par satellite. Maintenant que la consommation des contenus vidéo passe de plus en plus par les appareils mobiles, avec une connexion internet, pensez-vous que l'on devrait imposer une contribution à ces fournisseurs?

C'est ce que le gouvernement fédéral est en train d'étudier, mais il faut voir si c'est faisable. Le Fonds des câblos [l'ancêtre du Fonds des médias] était alimenté par des entreprises comme Vidéotron et autres, qui se sont développées en partie avec l'argent des Québécois et des Canadiens. La Caisse de dépôt et placement du Québec a notamment beaucoup aidé ces entreprises. Donc, on se parlait entre nous. Là, il faut voir avec les fournisseurs internet comment ça pourrait se faire. Le contexte est différent. Les consommateurs sont-ils prêts à payer un prix, d'ailleurs? Car il ne faut pas se leurrer, la facture leur sera refilée.

D'un point de vue politique, il est difficile de vendre cette idée aux contribuables, n'est-ce pas?

Ça dépend comment on la présente. Il faut d'abord voir si les fournisseurs internet pourraient exagérer dans leur réaction face à une telle mesure. Je me rappelle que la ministre de la Culture, Lise Bacon, a voulu, à l'époque, forcer les grands distributeurs de films américains à sortir leurs produits plus rapidement au Québec, en faisant leur doublage ici. Qu'est-ce qu'ils ont fait ? Ils nous ont boudés. Comment ont réagi les gens ? Ils ont commencé à chialer, car ils voulaient voir leurs blockbusters. Mme Bacon a été obligée de céder.

Il faut donc s'assurer que les citoyens soient prêts à payer un certain prix pour voir leur culture rayonner...

Il faut que les consommateurs appuient leurs décideurs en ce sens. Mais regarde ce qu'on a observé à Tout le monde en parle il y a quelques semaines. La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, était présente pour parler du renouvellement de la politique culturelle. La réaction de l'avocate Anne-France Goldwater a bien résumé l'ambiance. En gros, elle a dit: «Tu ne me diras pas quoi regarder, tu ne me diras pas quoi faire et tu ne feras rien pour que ça me coûte plus cher.» Alors si tu veux faire la bataille [contre les géants du web], que penses-tu qu'une entreprise comme Netflix va faire? Elle va dire: «Parfait, tu veux m'imposer quelque chose, je vais doubler ta facture.» Ça va jouer rough, crois-moi...