La chanteuse québécoise Béatrice Martin, alias Coeur de pirate, se définit comme queer, a-t-elle révélé hier dans un texte publié sur le site internet Vice. Sa lettre ouverte, intitulée «Je ne veux plus avoir peur de ce que les gens pensent», a été encensée par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux comme étant un témoignage sensible, émouvant et courageux.

Prenant la parole publiquement pour la première fois au sujet de son orientation sexuelle et de genre (elle devait renouveler ses voeux de mariage à l'automne avec le tatoueur français Alex Peyrat, le père de sa fille, avec qui elle n'est plus en couple), Coeur de pirate affirme sortir du placard aujourd'hui en réaction à l'attentat terroriste homophobe d'Orlando, pour rendre hommage aux victimes.

«[Enfant], j'ai senti qu'aimer une personne du même sexe n'était pas largement accepté. J'ai choisi un mode de vie hétérosexuel parce que j'avais peur d'être rejetée. Après des années d'inconforts, tant au lit que dans mes relations amoureuses, je me suis casée, j'ai enterré tous mes sentiments loin à l'intérieur de moi, j'ai eu un enfant, et j'ai pensé que tout irait bien», écrit Béatrice Martin, relatant ses premières amours gaies pendant sa jeunesse.

«J'avais complètement tort. Peu importe, ce que j'avais repoussé toutes ces années à l'intérieur de moi est revenu en force dès que j'ai eu un enfant. J'ai commencé à vivre de la dissociation. Quand j'étais en contact avec des personnes, je me sentais utilisée et sans défense. Alors j'ai tenté de me détacher de ce qui m'arrivait, tant physiquement que psychologiquement. Réalisant tout cela tard dans ma vie, je me sentais comme un imposteur. Il est clair, avec la tuerie d'Orlando, que l'homophobie est toujours très présente. Sur l'internet, les débats concernant [les lois homophobes votées aux États-Unis] démontrent qu'aimer la personne que l'on veut aimer a parfois un prix», poursuit la chanteuse.

«C'est pourquoi je fais mon coming-out aujourd'hui: je suis queer. Je ne veux plus avoir peur de ce que les gens pensent de moi. Je ne veux pas avoir peur qu'une personne arrête d'écouter ma musique, ou que des parents ne veuillent plus que leurs enfants écoutent ma musique parce que je veux être libre d'aimer qui je veux.»

«Je fais mon coming-out pour ma fille, qui a besoin d'apprendre que l'amour n'a ni race, ni religion, ni genre, ni orientation sexuelle.»

À la fin de son texte, Coeur de pirate affirme qu'il n'a pas été facile pour elle d'écrire cette lettre. «Je suis certaine que si tu n'habites pas dans une grande ville et que tu crains d'affirmer qui tu es vraiment, l'attentat d'Orlando peut te faire peur de t'afficher tel que tu dois être. Ce message est pour toi, venant d'une personne qui était tout aussi terrifiée que toi: j'ai trouvé du réconfort dans ma différence», conclut-elle.

La Presse a demandé à Béatrice Martin si elle voulait lui accorder une entrevue, mais la chanteuse a préféré décliner l'invitation pour l'instant.

Embrasser la diversité sexuelle

Pour Pascal Vaillancourt, directeur général de Gai Écoute, toute personnalité publique qui affiche ouvertement son orientation sexuelle du spectre LGBTQ+ a un effet positif sur l'ensemble de la société.

«Ça joue un rôle crucial dans le fait de normaliser les orientations sexuelles et les identités de genre. Ça permet aux gens de voir que des personnalités positives, publiques, qui sont des modèles de réussite, s'affichent et que ce n'est pas un drame», indique-t-il.

Mais quand Béatrice Martin s'affiche comme étant queer, dit-elle qu'elle est lesbienne, comme ç'a été dit hier sur les réseaux sociaux? Pas du tout, explique le directeur de l'organisme.

«Les queers sont des personnes qui ne veulent pas être étiquetées comme étant un homme, une femme, un hétérosexuel ou un homosexuel. Pour ces gens, il y a une fluidité dans les identités sexuelles et de genre. Ils ne veulent pas qu'on les catalogue.»

Cette explication est d'ailleurs conforme à la définition du terme queer tel qu'il est expliqué par le Lexique LGBT sur la diversité sexuelle et de genre publié par la Chambre de commerce gaie du Québec, en collaboration avec la Chaire de recherche sur l'homophobie de l'UQAM.

«Un queer est une personne qui n'adhère pas à la division binaire traditionnelle des genres et des sexualités, s'identifiant à une identité de genre ou à une orientation sexuelle non conforme ou fluide. Ce terme est d'origine anglo-saxonne, réapproprié par les communautés LGBT de manière à en faire un symbole d'autodétermination et de libération plutôt qu'une insulte, qui fait référence à toute personne dont l'identité ou les pratiques vont à l'encontre des normes structurant le modèle social hétéronormatif», peut-on lire.

Coeur de pirate, dont l'album Roses est sorti en août dernier, fait carrière au Canada, aux États-Unis, en France et ailleurs en Europe francophone. Âgée de 26 ans, elle s'est fait connaître du grand public en 2009. Son premier album a été nommé dans la catégorie album francophone de l'année aux prix Juno 2009. Plusieurs des chansons de l'auteure-compositrice-interprète ont été inspirées de ses histoires d'amour, notamment celle avec Jay Malinowski, leader du groupe Bedouin Soundclash, avec qui elle a enregistré le minialbum Armistice.

Trois «coming-outs» médiatisés

Kaytranada

La plus récente sortie du placard dans le monde musical est celui de Louis Kevin Célestin, mieux connu sous le pseudonyme de Kaytranada, un DJ et producteur québécois de réputation internationale dont le premier album est sorti en mai. En entrevue avec le magazine new-yorkais The Fader, le jeune artiste d'origine haïtienne, qui vit à Saint-Hubert, a révélé qu'il était homosexuel, attribuant certains problèmes de création au fait qu'il ne s'avouait pas sa véritable identité. «J'essayais d'être quelqu'un que je n'étais pas, et j'étais frustré que les gens ignorent qui j'étais», a-t-il expliqué. Kaytranada, qui a signé en 2014 avec le même label que M.I.A. et Adele, XL Recordings, ne sait toutefois pas s'il veut qu'on lui accole l'étiquette de «gai». «Je ne me dis pas hétéro, je ne me dis pas gai, je suis tout simplement moi. Mais dans le fond, j'imagine, ça veut dire que je suis gai.»

Ariane Moffatt

La chanteuse Ariane Moffatt, qui a dédié mercredi aux FrancoFolies son concert aux victimes de l'attentat homophobe d'Orlando, n'a pas vécu une sortie de placard facile. En 2013, avant de recevoir le prix Lutte contre l'homophobie de la Fondation Émergence, elle a confié à la chroniqueuse Nathalie Petrowski que c'est le désir d'avoir des enfants qui l'avait convaincue d'affirmer publiquement son orientation sexuelle. «Tu ne peux pas mettre des enfants au monde si tu ne t'assumes pas pleinement», avait-elle confié à l'époque. «Mon parcours est celui de beaucoup d'hommes et de femmes. On croit à tort que c'est facile d'assumer son homosexualité. Ce n'est pas vrai. C'est un processus laborieux, fait de doutes, de deuils, d'homophobie intérieure. Pour être franche, gérer cette partie-là de ma vie a été beaucoup plus difficile que de gérer ma carrière professionnelle», avait-elle ajouté.

Dany Turcotte

Le fou du roi d'une des émissions les plus populaires du Québec, Dany Turcotte, a fait son coming-out à Tout le monde en parle en 2005, une semaine après que le politicien André Boisclair eut «flirté» avec lui, à la blague, sur le plateau. À l'époque, la conversation entre le péquiste et l'humoriste avait fait jaser, notamment parce que M. Turcotte n'avait accordé aucune entrevue à la suite de l'émission concernant son orientation sexuelle. Dany Turcotte, qui anime aussi l'émission La petite séduction, à Radio-Canada, est depuis devenu porte-parole de l'organisme Gai Écoute. Il répond régulièrement aux homophobes qui l'insultent sur les réseaux sociaux lorsqu'il parle ouvertement de son orientation sexuelle en ondes.



PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

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