La ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, lance un vaste chantier. Son but: adapter la politique culturelle à l'ère numérique et mettre en place, pour la première fois, une stratégie d'exportations pour les créateurs. Pour y arriver, elle recueillera les suggestions du grand public et des intervenants du milieu dès aujourd'hui. Puis, l'an prochain, elle modernisera les lois et les règlements. Et elle ajustera l'aide financière. Du jamais vu en 30 ans. Explications en six thèmes numériques.

Mise à jour

Les bases de la politique culturelle du Canada remontent à avant l'internet. Depuis, les nouvelles technologies ont changé le visage du divertissement et de l'information. On ne consomme plus la musique, la télé, la radio, les journaux, les films, les jeux vidéo et les livres de la même façon. Le monde de la création est bouleversé. L'industrie de la publicité et du marketing est transformée. «Le politique ne peut plus se désengager devant ces changements, dit Mélanie Joly, en entrevue à ses bureaux de Gatineau. Au contraire, il faut saisir l'occasion de développer un nouveau modèle pour soutenir le contenu canadien.»

Forum

Pour orienter ses travaux, Patrimoine canadien lance une préconsultation sur le web jusqu'en juin. «Tout le monde est interpellé, dit la ministre. On veut connaître l'opinion des gens sur la création et l'exportation de contenu canadien dans un monde numérique.» La liste des invités est longue: consommateurs, artistes, journalistes, câblodistributeurs, sociétés de communication, etc. Les commentaires recueillis serviront à élaborer le cadre des audiences publiques qui se tiendront dans tout le pays, dès septembre. Les membres du panel seront nommés à l'été. Les changements législatifs sont prévus au cours de 2017.

Version 2.0

Mme Joly veut actualiser la «trousse d'outils» pour développer le plein potentiel artistique et culturel. «Il faut s'assurer que le modèle, qui va des lois à la réglementation, en passant par les différents fonds d'appui, s'adapte aussi à la réalité de consommation des gens», précise-t-elle. Les leviers dont elle dispose sont nombreux. Parmi eux, les lois sur le droit d'auteur, les télécoms, la radiodiffusion et le CRTC. De plus, le Ministère offre du soutien financier, entre autres, aux industries du livre, du cinéma, de la musique et des médias. «Il faut repenser notre façon de faire, estime-t-elle. Si on ne bouge pas, on ne mise pas sur nos forces.»

Réseau social

Le Canada n'a jamais eu de stratégie d'exportations culturelle. La ministre veut profiter de la mutation du modèle pour changer la donne. «Nous allons aider nos artistes et nos créateurs à accéder à de nouveaux marchés», dit-elle. Mme Joly veut s'arrimer aux succès obtenus. Le pays arrive en troisième position pour l'exportation de musique et pour la production de jeux vidéo. On y compte aussi des Xavier Dolan, des Alessia Cara et des Shawn Mendes, rappelle-t-elle. Sans compter la «diaspora du monde culturel». Du million de Canadiens habitant aux États-Unis, 600 000 sont installés en Californie.

Big Data

«Les arts et la culture ne sont pas une dépense, souligne la ministre. Ils sont plutôt la base pour une politique d'innovations.»

En 2010, ce secteur employait plus de 640 000 personnes. Il affichait des revenus d'environ 48 milliards. Et représentait 3 % de l'économie du pays.

«Il faut miser sur l'écosystème d'innovations, car en investissant dans nos artistes, nos artisans et nos créateurs de contenu, on bâtit l'économie créative, l'économie de demain, dit-elle. Leur créativité a le pouvoir d'influencer nos architectes, nos ingénieurs et nos entrepreneurs.» C'est, pour elle, la «pierre angulaire» de son mandat.

Veille

Mme Joly signale que le gouvernement fédéral vient d'investir 1,9 milliard sur cinq ans en arts et en culture. «Nous sommes le seul pays au monde à réinvestir autant», dit-elle. Ces investissements serviront notamment à réinventer la stratégie culturelle et à créer l'écosystème d'innovations. Il permettra aussi, avec Chrystia Freeland, la ministre du Commerce international, de développer les exportations. Elle espère même jouer un rôle à l'international en créant un nouveau modèle adapté au monde numérique. «On se trouve à la croisée des chemins, dit Mélanie Joly. Mais on sait aussi qu'il s'agit d'une ère d'opportunités.»

Les vecteurs du changement

Les quatre vecteurs de changement, selon le document de préconsultation de Patrimoine canadien.

L'environnement est plus fluide

«Les distinctions traditionnelles entre créateurs et utilisateur, artiste et public, professionnel et amateur, ou citoyen et journaliste sont de moins en moins claires. Il en résulte de nouveaux modèles et de nouvelles formes de création et d'expression, ainsi que de nouveaux rapports et de nouvelles collaborations.»

De nouveaux joueurs intermédiaires voient le jour

«Ces intervenants perturbent les chaînes de valeurs et les modèles d'affaires traditionnels. Cela donne lieu à l'émergence de nouvelles industries et change la façon dont les Canadiens créent, partagent, explorent, vivent la culture. Les créateurs et les journalistes canadiens attirent de nouveaux auditoires en ligne. Mais ils peinent à récolter une rétribution équitable, à s'illustrer et à faire découvrir leur contenu.»

La mondialisation et l'interdépendance s'accroissent

«Le public jouit d'une foule de contenu [...] provenant des quatre coins de la planète. Le contenu local peut donc s'y perdre facilement. Les artistes et les créateurs canadiens ont de nouvelles occasions de se faire connaître sur le marché mondial. Mais ils se butent à la vive concurrence du secteur culturel d'autres pays qui convoitent aussi les marchés étrangers [...].»

La consommation de contenu sur plateformes modifie les attentes

«Depuis que les Canadiens ont accès à un vaste contenu mondial sur leur téléphone intelligent, leurs attentes quant au type de contenu disponible ne sont plus les mêmes. La connectivité numérique permet d'offrir un contenu personnalisé accessible instantanément, peu importe où l'on se trouve, et ce, sans frais (ou presque) pour les consommateurs.»

Source: Document de pré-consultation, Patrimoine canadien

Le produit de sa génération

«Je pense en numérique en premier car je suis le produit de ma génération, dit la ministre fédérale Mélanie Joly. Ma carrière a été bâtie autour de modèles qui sont loin d'être traditionnels.» Selon Influence Communication, elle a «gagné la guerre de visibilité» dans les médias sociaux, lors de la course à la mairie de Montréal, en 2013. La prochaine politique d'appui au contenu à l'ère numérique et la stratégie d'exportations culturelles sont des «priorités» pour elle. «Montréal est clé dans ce positionnement, car c'est une des grandes capitales créatives du monde», dit-elle.

Les grandes étapes de sa carrière

Ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly est responsable des politiques en matière d'arts et de culture, des médias, des langues officielles et autochtones, du multiculturalisme et de la région de la capitale nationale. Elle est aussi: 

- vice-présidente du comité du Cabinet chargé de la diversité et de l'inclusion;

- vice-présidente du comité spécial chargé des réfugiés;

- membre du comité du Cabinet chargé du programme gouvernemental, des résultats et des communications;

- membre du comité du Cabinet chargé des affaires parlementaires;

- membre du comité du Cabinet chargé des questions concernant un gouvernement ouvert et transparent.

Députée de la circonscription montréalaise d'Ahuntsic-Cartierville, depuis 2015. 

Titulaire d'un baccalauréat en droit (avec distinction) de l'Université de Montréal et d'une maîtrise en droit européen et comparé de l'Université d'Oxford (bourse Chevening).

Elle a travaillé en litige civil et commercial au sein des cabinets montréalais Stikeman Elliott et Davies Ward Phillips et Vineberg avant d'être associée directrice du bureau de Montréal de l'agence de communication internationale Cohn & Wolfe. 

Fondatrice du parti Le Vrai Changement pour Montréal, elle s'est portée candidate à la mairie de Montréal en 2013. 

Elle a siégé à différents conseils d'administration: Régie des rentes du Québec, Fondation du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) et Musée d'art contemporain de Montréal. 

A été membre du Conseil supérieur de la langue française. 

Cofondatrice, en 2008, du groupe de réflexion politique Générations d'idées. 

A été porte-parole de la maison pour femmes en difficulté du Logis Rose-Virginie et ambassadrice pour La Rue des Femmes. 

Première Québécoise à recevoir le prix Arnold Edinborough pour son engagement dans le milieu culturel. 

Désignée une des jeunes leaders mondiaux du Forum Économique Mondial en 2016.

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