Un jour, le metteur en scène Juan Carlos Cremata Malberti en a eu assez des métaphores. Pour son adaptation de la pièce d'Eugène Ionesco Le roi se meurt, qui raconte les derniers jours d'un vieux dirigeant qui ne veut pas mourir, il a décidé de faire explicitement référence au contexte cubain. La pièce a été présentée deux fois en juillet 2015 avant d'être interdite par les autorités.

«Je m'étais dit que je n'allais pas utiliser le nom de Fidel [Castro], mais au moins le drapeau et l'hymne cubains. Et ç'a été un désastre. Pour eux, pas pour moi. Pour moi, c'était une fête, puisque j'ai fait cela en toute liberté. Mon travail est d'ouvrir les esprits. Alors, pourquoi ne pas dire ce que je veux comme je le veux?», raconte M. Cremata, mieux connu à l'étranger comme réalisateur du film Viva Cuba, primé au Festival de Cannes en 2005.

Convoqué par des responsables du ministère de la Culture, il s'est fait reprocher d'avoir «trahi» la confiance des autorités en ne respectant pas la règle tacite qui interdit de critiquer directement les leaders historiques de la révolution, Fidel et Raúl Castro.

«Jusqu'à quand devrons-nous attendre pour pouvoir parler de Fidel dans ce pays? Nous devons faire quelque chose. Un ami m'a dit que j'aurais dû négocier avec eux. Mais je ne veux plus négocier. Si tu n'augmentes pas le point de négociation, tu n'obtiendras jamais rien de plus», dit celui qui a été renvoyé de son théâtre deux mois après le scandale.

Des cochons qui dérangent

Juan Carlos Cremata Malberti se compte toutefois chanceux. «Il y a 20 ans, on m'aurait mis en prison pour ça.»

En décembre 2014, quelques jours à peine après l'annonce du rapprochement cubano-américain, deux artistes de performance se sont d'ailleurs fait rappeler que la geôle était encore une option envisageable pour le régime afin de faire taire les artistes dérangeants.

Danilo «El Sexto» Maldonado a été incarcéré durant 10 mois pour avoir voulu relâcher dans la rue deux cochons baptisés... Fidel et Raúl.

Une semaine plus tard, c'était au tour de l'artiste Tania Bruguera d'être interpellée après avoir annoncé son intention d'installer un micro ouvert sur la place de la Révolution de La Havane afin que les Cubains puissent s'exprimer librement à travers celui-ci.

«La transition va venir tôt ou tard, croit Juan Carlos Cremata Malberti. Mais [le régime] a prouvé avec sa censure qu'il a peur de cette transition.»

Le jour où la situation changera, l'artiste irrévérencieux se promet de conserver son esprit contestataire. «Si on en vient à interdire les communistes, il est certain que je ferai une oeuvre en soutien aux communistes!»

PHOTO FRÉDÉRICK LAVOIE, COLLABORATION SPÉCIALE

En juillet dernier, le ministère cubain de la Culture a interdit Le roi se meurt après deux représentations. Les fonctionnaires ont vu une allusion à la santé chancelante du leader Fidel Castro, 89 ans, dans cette adaptation du metteur en scène Juan Carlos Cremata Malberti de la pièce d'Ionesco.