Personne ne va tomber à la renverse, le 4 novembre, si Justin Trudeau annonce qu'il a donné le ministère des Pêcheries à un député des Maritimes, où le Parti libéral a remporté la totalité des 32 sièges, la semaine passée. Ou si le titulaire des Affaires autochtones et Développement du Nord est un représentant des Premières Nations, au nombre de huit, un sommet historique, dans la députation libérale de 183 membres.

Certaines nominations sont des «naturelles», particulièrement lorsque l'action première d'un ministère est concentrée dans une région, comme dans les cas cités ci-haut, où les titulaires doivent connaître les problématiques et les dynamiques des industries ou des communautés qu'ils doivent servir.

Le ministre de la Justice sera un avocat, et son collègue de l'Agriculture viendra de l'Ouest, mais existe-t-il un profil type des candidats au ministère du Patrimoine? Quelles sont, quelles devraient être, les qualités et compétences requises de son titulaire?

Qui remplacera Shelly Glover?

Si le ministre des Affaires extérieures a pour mandat de faire rayonner l'image du Canada dans le reste du monde, peut-on dire que le/la ministre du Patrimoine, jusqu'à un certain point, a la même mission auprès des Canadiens?

En quoi changera la «vision» du Patrimoine qu'avaient les conservateurs «d'un Canada où tous les Canadiens peuvent célébrer leur riche diversité culturelle, leurs expériences et leurs valeurs communes, un Canada où tous peuvent apprendre à mieux connaître leur histoire, leur patrimoine et leurs communautés. Nous voyons un Canada qui investit dans l'avenir en soutenant les arts, nos deux langues officielles et nos athlètes». Un Canada, lit-on aussi, «à l'avant-garde de l'économie créative et un chef de file dans le monde numérique».

Histoire, patrimoine, communautés, arts, langues officielles... Autant de dimensions avec lesquelles doit vite se familiariser le titulaire du Patrimoine canadien. Connaître le Canada, c'est d'abord connaître ses cultures et ses langues et reconnaître les différences entre la réalité canadian et la culture québécoise et franco-canadienne.

Métisse et ancienne policière de Winnipeg, Shelly Glover s'exprime bien en français, mais la dernière ministre du Patrimoine du gouvernement Harper ne savait pas qui était Robert Lepage, la première fois qu'elle est venue à Québec.

James Moore, «francophile» de Vancouver et prédécesseur de Mme Glover, était arrivé en poste en 2008, après la campagne «Art-Peur» des milieux culturels montréalais contre les coupes de son gouvernement qui se sont avérées, dans les faits, des réaffectations de crédits. Surnommé par certains «le sixième député conservateur du Québec», M. Moore, le seul homme à ce poste depuis l'institution du ministère du Patrimoine en 1996, avait réussi à calmer le jeu. Tout en ayant beaucoup de difficulté à faire accepter ici la décision de son chef d'investir 28 millions de dollars dans la commémoration de la guerre de 1812, présentée comme opposant les États-Unis et le Canada alors qu'il s'agissait d'un conflit entre Américains et Britanniques. Le Canada guerrier de Stephen Harper ne souriait pas à tout le monde.

Pour le prochain ministre du Patrimoine, le premier mandat «historique» touchera les célébrations du 150e anniversaire de la Confédération qui, en 2017, coïncideront avec le 375e anniversaire de Montréal, la première métropole du Canada, et le 50e d'Expo 67. Cette manifestation grandiose, on l'oublie souvent, avait d'abord été parrainée par Ottawa, pour souligner le centenaire du Canada, mais il a davantage marqué l'avènement de Montréal comme métropole internationale et, parallèlement, l'ouverture du Québec sur le monde.

Dans le secteur de la création, les libéraux ont promis de doubler le budget du Conseil des arts et, bénéfice pancanadien sans équivoque, de juguler la saignée de Radio-Canada/CBC. Qu'en sera-t-il ici de «l'économie créative» prônée par les conservateurs? On verra...

Le plus grand défi du prochain ministre du Patrimoine canadien, loin des «coquetels» et des galas, se situera dans la nébuleuse numérique. Pour être chef de file, il faut d'abord marcher dans la file. Le numérique représente un univers complexe dans lequel la vitesse de changement augmente de façon exponentielle. Ceci dit, les exigences de la modernité numérique dépassent largement les cadres du Patrimoine qui, de façon immédiate, doit néanmoins assurer non seulement la diffusion numérique des créations traditionnelles, mais la création numérique en tant que telle.

Prérequis ici: une vision, des moyens et un ministre pour qui l'avenir est au moins aussi important que le passé.