La recherche et développement en arts et culture, vous connaissez? Ça existe. C'est même une voie d'avenir. Les entrepreneurs culturels poussent comme des champignons en France et ici. Le Français Steven Hearn en est un leader incontesté.

Innovation, incubateurs, capital de risque... Vous êtes pourtant dans la section Arts de La Presse. Pour les entrepreneurs culturels, comme Steven Hearn, il n'y a pas d'opposition entre les deux.

«Tout est commerce, tout est culture, dit-il. Tout innerve notre société et c'est heureux. Il y a des formes artistiques d'avant-garde très éloignées du marché et il y a des formes culturelles qui sont dans l'industrie. L'un pèse plus que l'autre, et c'est pour ça qu'il faut protéger l'autre.»

Pour cet opérateur de la délégation du service public à la Gaîté lyrique de Paris - véritable navire amiral des arts numériques en France -, la question n'est plus là. 

«Il faut former des entrepreneurs culturels que l'on prépare à ne pas abandonner, pour des raisons économiques, l'exigence culturelle. Je crois qu'il faut renouveler le contrat entre la puissance publique et la sphère privée.»

«Plus on accompagnera les entrepreneurs à ne pas lâcher la qualité artistique, moins on se laissera aller à la facilité.»

Modèle d'affaires

À l'invitation d'un circuit d'incubation numérique en culture d'ici, Hive+Dive, M. Hearn est venu rencontrer des entrepreneurs culturels en recherche de modèle d'affaires au sein de firmes qui vont d'une salle de diffusion transmédia aux installations sonores pour enfants en difficulté. 

À Paris, M. Hearn a fondé Créatis, un incubateur d'une cinquantaine d'entreprises culturelles dont le chiffre d'affaires annuel total atteint les 12 millions d'euros en assurant la création de 200 emplois.

«Les banques et les investisseurs s'intéressent peu à ces entreprises, considérant que les retours sont faibles. Mais on a la conviction qu'ils créent de l'emploi et de l'économie. Il faut donc les réunir en pépinière, créer des conditions d'accompagnement pour qu'elles puissent se développer.»

Mais la crise, M. Hearn? Et les besoins en santé et en autoroutes? Les questions des pourfendeurs de culture, il les a déjà toutes entendues.

«Une ère de crise peut être salutaire. Tout dépend de la façon dont on l'aborde. Pour moi, c'est un moment intéressant pour proposer des alternatives. Une chance qu'en France, on est sur un modèle d'État fort qui soutient la création. Par contre, il y a plein d'intermédiaires dont il faut s'occuper.»

Ici comme là-bas, les subventions à la culture ont diminué, de sorte que c'est la marge, les jeunes talents, les artistes émergents qui souffrent.

«La question de la culture est aujourd'hui un peu trop entre les mains des vedettes qui font du box-office. La jeune création est un peu broyée dans l'ensemble. On hypothèque l'avenir de la culture.»

Numérique

L'avenir, il est numérique dans toutes les sphères de la société. L'initiateur de Hive+Dive MTL, Charles-Stéphane Roy, note que le Québec avance rapidement, tant du côté public que privé en culture. 

«Les start-up n'attendent pas les subventions avant d'agir, dit-il. On fonctionne beaucoup par intuition, mais on sent que la révolution est en marche quand on voit bouger des institutions comme la SODEC et le CALQ.»

En plus de salles d'expo, de concerts et de studios, la Gaîté lyrique accueille des entreprises culturelles qui vont de l'alimentaire au design en passant par l'organisation d'événements, la médiation culturelle en musée et le karaoké. Mais le modèle ne fonctionnerait pas sans un apport égal du public et du privé, souligne Steven Hearn.

«C'est un incubateur installé dans un lieu culturel et c'est un entrepreneur privé - donc moi - qui l'anime. Je leur donne des coups de pied au cul, quoi ! Je les invite à tester et à "prototyper" leur modèle économique et à se débrouiller parce que je l'ai fait pour moi-même. Je sais ce que c'est.»

Montréal

Construite en 1860, la Gaîté lyrique, c'est un peu comme si on rassemblait ici les forces d'institutions comme le Centre PHI, l'ONF interactif et la SAT.

«Quand la Ville de Paris a imaginé la Gaîté lyrique, elle s'est inspirée d'un certain nombre de lieux, comme la SAT de Montréal.» 

Avec son incubateur d'incubateurs culturels, Charles-Stéphane Roy croit aussi qu'il faut continuer de fédérer les forces innovatrices en culture au Québec.

«Je ne sais pas si ça prend un lieu comme tel. Un modèle itinérant peut aussi fonctionner, mais un portrait de la situation serait nécessaire. Il y a beaucoup d'entrepreneurs culturels au Québec qui sont dans l'ombre.»