Une poignée de comédiens issus des minorités visibles peuvent se targuer d'avoir une belle carrière au Québec. C'est le cas de Didier Lucien (Un sur 2, Dans une galaxie près de chez vous), Marie-Évelyne Lessard (19-2, Les manèges humains) et Cynthia Wu-Maheux (Trauma, L'appart du 5e).

Un matin, les trois volubiles comédiens ont pris place au comptoir du restaurant La Binerie Mont-Royal. Entre deux bouchées de crêpes, de cretons et de fèves au lard, ils ont échangé sur cette épineuse question: quelle place nos créateurs offrent-ils à la diversité au petit et au grand écran?

«Je suis sorti de l'École nationale de théâtre en 1994 et on me pose cette question depuis ce temps-là. C'est weird parce que j'ai toujours la même réponse», dit Didier Lucien en souriant.

Assise à ses côtés, Marie-Évelyne Lessard l'interrompt: «Il y a un petit changement, quand même! Parce que si on m'avait demandé de nommer un comédien noir lorsque j'étais jeune, j'aurais juste pu répondre Didier Lucien.»

«Oui, maintenant, nous pouvons en nommer plusieurs!», abonde Cynthia, dont la mère est d'origine chinoise et le père québécois.

Didier s'exclame: «Elle a raison, ça a changé. Je ne m'en étais pas aperçu. C'est génial, mais elle a raison. Je pense que ça fait juste trop longtemps que je suis là, donc j'ai eu le temps d'accumuler les sacs de vidanges.»

L'acteur d'origine haïtienne note tout de même que «personne ne travaille beaucoup».

Marie-Évelyne cite l'exemple de Série noire: «Ça se veut une série super urbaine. En tout cas, je trouve que la facture est très urbaine. Eh bien, c'est très, très blanc. (Silence) C'est blanc longtemps. Mais ça ne change rien au fait que j'adore cette série.»

De la chair autour de l'os

Au fil de la conversation, les trois comédiens s'accordent donc sur le fait que la situation s'améliore. «Petit à petit», dit Cynthia.

Par contre, lorsqu'ils sont appelés en audition, c'est bien souvent pour des rôles «ouverts aux ethnies». Ils vont rarement auditionner pour un rôle qui pourrait aussi bien être campé par un acteur blanc comme Magalie Lépine-Blondeau ou Claude Legault. Ça peut arriver, mais c'est loin d'être fréquent.

«Ça fait deux fois cette année que ça m'arrive, mais ça ne m'était jamais arrivé avant, je pense», confie Didier, qui est d'ailleurs très heureux d'avoir décroché un de ces deux rôles.

Mais ce que les trois interprètes souhaitent avant tout, c'est d'avoir la possibilité d'auditionner pour des rôles étoffés. Pas seulement pour jouer la serveuse d'un restaurant chinois, un gangster ou un chauffeur de taxi.

«Les Québécois ont des problèmes humains et, nous autres, nous avons des problèmes raciaux, ajoute Didier. C'est toujours ça et c'est d'un ennui mortel. Les rôles qu'on nous offre n'ont pas de substance. Je vais le faire, le chauffeur de taxi... lorsqu'il va avoir une histoire.»

Marie-Évelyne touche du bois. Celle qui a été finaliste comme meilleure actrice au dernier gala des Jutra pour son rôle dans Les manèges humains avoue qu'elle auditionne surtout pour des personnages issus des minorités visibles, mais que ces rôles ne sont pas ternes et caricaturaux. «Je suis peut-être juste super chanceuse», dit-elle.

Cynthia abonde. Oui, Fabienne Larouche voulait sûrement une comédienne issue d'une minorité visible pour jouer la Dre Christelle Pierre dans Trauma. Mais reste qu'elle lui a écrit un beau rôle.

La question de l'accent

Combien de fois Didier Lucien, qui avait 2 ans lorsqu'il est arrivé au Canada, s'est-il fait demander s'il pouvait «jouer avec un accent» ? Beaucoup trop, selon lui.

«La dernière fois que c'est arrivé lors d'une audition, j'ai dit: "Tu sais quoi? Je ne ferai pas ça." Et j'ai appris par la suite qu'ils avaient peur que je sois une diva. Parce que j'ai une opinion, parce que je ne voulais pas faire un personnage avec un accent», dit l'acteur de la série télévisée Pure laine.

«J'ai perdu des rôles qui nécessitaient d'avoir un certain accent, dit Marie-Évelyne. Je viens de Rock Forest, de Sherbrooke. Donc l'accent, je ne l'ai pas tant que ça. Je ne suis pas spécialiste des accents.»

L'industrie déplore souvent l'absence d'acteurs formés qui sont issus de communautés culturelles, signale l'actrice. «Cela fait en sorte qu'ils trouvent des comédiens un peu établis et qu'ils leur demandent: «Peux-tu me faire un accent? Parce que je n'ai pas réussi à trouver ce que je recherchais dans la banque d'acteurs.» »

Une heure et demie après s'être installés au restaurant, les acteurs se quittent en constatant qu'il y a un progrès, mais que la partie est loin d'être gagnée.

«On devrait s'écrire une série. Je pourrais raconter l'histoire de ma famille», conclut Cynthia, avec le sourire.

Unis dans la diversité

La diversité culturelle est une mosaïque formée de milliers de visages. Elle est aussi caractérisée par de nombreux défis. Les artistes issus des minorités visibles qui désirent pratiquer leur art parcourent un chemin semé d'embûches. La Presse est allée à la rencontre de quatre d'entre eux qui sont comédiens. Portraits.

Néfertari Bélizaire

Profession: actrice

Citation: «L'avenir est incertain pour moi, je n'ai pas de vision, je ne suis même plus dans l'attente.»

Néfertari Bélizaire s'est fait connaître dans les séries L'héritage, de Victor-Lévy Beaulieu, mais aussi dans Watatatow et La galère. Même si elle a obtenu des rôles à la télé et au théâtre (Iphigénie, Don Quichotte), la comédienne diplômée de Saint-Hyacinthe affirme avoir traversé de nombreuses périodes creuses. «La télévision est loin de représenter la diversité du Québec», constate-t-elle. Au milieu des années 2000, elle a participé à des missions des Nations unies en Haïti, son pays d'origine. «Je suis retournée vivre là-bas pendant deux ans, confie-t-elle. J'ai mis en place un projet psychosocial et artistique pour des enfants-soldats de Cité Soleil. Ils ont suivi des cours de chant, de danse, de théâtre.» Elle a aussi écrit un roman, Cru, paru l'an dernier. Aujourd'hui, Néfertari avoue être dans un creux. «À 52 ans, je ne peux pas vraiment me réorienter, nous dit-elle. Ma spécificité fait en sorte qu'aujourd'hui, il n'y a pas de rôle pour moi.»

Yanic Truesdale

Profession: acteur

Citation: «La seule fois que j'ai été embauché sans égard à la couleur de ma peau, c'était dans le téléfilm de Lance et compte (Tous pour un)

L'acteur québécois a fait ses débuts dans les séries Majeurs et vaccinés et Jamais deux sans toi. On l'a aussi vu au petit écran dans Un gars, une fille et Tout sur moi. Mais à la fin des années 90, il est allé à New York pour poursuivre sa formation au célèbre Actors Studio. «À l'époque, au Québec, c'était difficile pour les Noirs de trouver du boulot.» L'acteur de 43 ans, dont le père était afro-américain, s'est fait remarquer dans la série Gilmore Girls, qui a connu un énorme succès. Malgré la chance qu'il a eue, ça n'a pas été nécessairement plus facile pour lui, là-bas. «Même si j'ai la peau noire, je n'ai pas la culture ou l'attitude d'un Black. Je suis comme un Blanc déguisé en Noir!» Aujourd'hui, il partage son temps entre Los Angeles et Montréal. Il continue de jouer dans des séries québécoises comme Mauvais karma ou La théorie du K.O. «C'est sûr que la télévision s'est modernisée, mais ça demeure souvent des rôles écrits pour des Noirs ou des Asiatiques.»

- Jean Siag



Alejandro Moran


Profession: acteur

Citation: «Pour nous, le problème, c'est toujours notre accent.»

À 70 ans, Alejandro Moran a jeté l'éponge. Il a pourtant foulé les planches de grandes scènes, tant au Mexique, où il a grandi, qu'à Paris, où il a étudié le théâtre, mais aussi à Montréal, où il a choisi de vivre à la fin des années 80. Avant d'arriver ici, il a fait partie de la troupe suisse Mummenschanz pendant deux ans. C'est lors d'une tournée mondiale qu'il est tombé amoureux du Québec. «Je suis arrivé à l'aéroport, j'ai vu l'escalier de l'avion, tout croche. Les gens m'ont salué, en me touchant. C'était chaleureux, je me suis dit "ah, c'est familial, c'est pour moi" », se souvient-il. Il s'est fait connaître dans l'émission Un signe de feu, écrite par Lise Payette pour Radio-Canada. Il peut cependant compter ses engagements rémunérés sur ses doigts. «Pour nous, le problème, c'est toujours l'accent. Mais le public aime ça, il aime et en demande», dit-il. Sent-il qu'on ne lui a pas donné sa chance? Un peu. Regrette-t-il de s'être établi ici? Pas du tout. «Mais j'avoue m'être senti plus inclus lors d'événements sportifs, comme lorsque le pays remportait des médailles, qu'avec mes pairs, en culture.»

Virginie Darma

Profession: animatrice télé et actrice

Citation: «Une reconnaissance des équivalences, ça nous aiderait.»

Virginie Darma connaît bien le Québec. Lorsqu'elle était dans la vingtaine, elle a vécu quatre ans à Montréal pendant ses études en théâtre à l'UQAM. Puis, après plus de 10 ans de carrière à La Réunion (région française outre-mer), elle a tout laissé en août dernier pour revenir au Québec et repartir à zéro, pour des raisons familiales. «Ça me fait peur, mais je suis prête. J'ai toujours travaillé et je vais toujours travailler», dit-elle. Animatrice, elle a longtemps été aux commandes d'un magazine télé féminin, elle a fait du théâtre et a récemment défendu le premier rôle dans la série Cut, diffusée sur France O et TV5. De retour ici, son plus grand défi a été de trouver un agent. Elle doit aussi accumuler des crédits de l'Union des artistes afin de pouvoir faire du doublage ou tourner dans des publicités. «S'il y avait au moins une passerelle ou une reconnaissance des équivalences, ça nous aiderait beaucoup. Les gens sont ouverts aux autres cultures. Regardez le succès de la Québécoise Charlotte Le Bon en France. Elle a "déchiré la wawa" sur Canal+, lance-t-elle. Mais je suis contente d'être ici. Je ferai tout ce qu'il faut pour réussir.»

- Hugo Pilon-Larose