Mardi dernier, 30 juin, disparaissait Pina Bausch. Dans le monde de la danse internationale, sa mort soudaine équivaut à un coup de tonnerre au moins aussi fulgurant que celui provoqué par la mort inattendue de Michael Jackson. Elle aura marqué la danse mais aussi la musique, le théâtre et le cinéma des 40 dernières années.

Le 21 juin, Pina Bausch était encore sur scène avec sa compagnie, le Tanztheater Wupperthal. Le 25 juin, en vue de subir des examens destinés à expliquer un état de fatigue intense, elle entre à l'hôpital et reçoit un diagnostic de cancer. Elle n'en est jamais ressortie. Le 27 juillet, elle aurait eu 69 ans. Au final, elle aura vécu comme elle a toujours dit, «par et pour la danse», et sans jamais parler de retraite.

 

Encore sous le choc de la nouvelle, Gérard Violette, ex-directeur de l'incontournable Théâtre de la Ville de Paris qui a programmé la compagnie tous les ans depuis 30 ans, a dit: «C'était quelqu'un de considérable. Elle n'a pas seulement révolutionné la danse, elle est allée bien au-delà: c'était de la danse, du théâtre, le travail d'un auteur complet.»

Dans la danse du XXe siècle, il y aura en effet avant et après Pina Bausch. Comme il y a eu avant et après Isadora Duncan, Vaclav Nijinsky, Martha Graham, Balanchine ou Béjart, comme il y aura avant et après Merce Cunningham ou Jiri Kylian. Des précurseurs dont l'ensemble de la danse contemporaine mondiale est héritière. Dans la lignée de Pina Bausch, on trouve William Forsythe, Anna-Teresa de Keersmaeker, Jan Fabre, Sasha Waltz (récemment vue à Montréal lors du dernier FTA), mais aussi, plus près de nous, Benoît Lachambre, Margie Gillis ou Dave St-Pierre.

Son parcours

On n'explique pas le génie, mais on peut quand même retracer le parcours d'une artiste de génie. Ainsi, rien ne prédestinait la petite Philippina Bausch à la scène, sauf le fait de passer son temps sous les tables dans le bistro de ses parents à Solingen, en Rhénanie du Nord. Observer les humains, de l'envers du décor, une activité qu'elle a qualifiée de «belle et captivante et essentielle à la formation de (sa) vision artistique».

La vie, au fond, est une pièce de théâtre, et jeune, déjà, elle joue dans des opérettes. À 14 ans, elle entre à l'école Folkwang à Essen, dirigée par Kurt Jooss, un des fondateurs de la fameuse Ausdruckstanz, la danse expressionniste allemande qui combine danse, musique et art dramatique mais aussi histoire, philosophie et psychologie. À 18 ans, Bausch en ressort diplômée en danse de scène et en pédagogie de la danse avec mention. Boursière de l'école Julliard, elle y poursuit ses études de 19 à 22 ans, s'ajoutant une autre vision du mouvement, celle de la modern dance américaine. Elle est aussitôt embauchée par le Metropolitan Opera et rejoint le New American Ballet. Pourtant, rappelée par Kurt Jooss en 1962, elle repart pour l'Allemagne, prend la direction de l'école Folkwang en 1969, puis, se lançant dans la chorégraphie, crée en 1973 sa propre compagnie, le TanzTheater Wupperthal, fleuron du ballet contemporain allemand au succès planétaire jamais démenti.

Danse controversée

D'emblée, elle dérange. Sa danse est controversée, trash, hors limites. Elle se fiche des formes, des pas, de la beauté. Elle observe l'anatomie de ses danseurs et crée à partir de leur réalité charnelle. Elle creuse la psyché, le passé et les douleurs sociales et individuelles. Elle dénonce les codes de séduction, la solitude dans les relations humaines, l'incommunicabilité des humains, la supercherie des rapports entre les sexes. Son parcours est jalonné de pièces cruelles, sombres et théâtrales, comme Nelken (Les oeillets), Kontakthof (dont la gestuelle sexuelle est perturbante), Les sept péchés des petits bourgeois, Café Müller, Palermo Palermo ou Barbe-Bleue... Avec les années, elle s'est adoucie, on la disait même apaisée: «Non, elle n'avait pas changé, précise Gérard Violette, mais l'amour reçu du public avait fini par lui donner le plaisir d'apporter du plaisir.»

Pina Bausch fut une artiste intense et entière, réputée pas facile, mais qui aura gagné l'amour du public autant que le respect de nombreux créateurs de tous milieux. Comme Federico Fellini qui la fait danser en princesse aveugle dans E la nave va, ou Pedro Almodovar qui structure autour d'elle son film Parle avec elle. On se souviendra d'une femme et d'une oeuvre foudroyantes.