En cette année électorale, l'un des chevaux de bataille du maire Gérald Tremblay sera de démontrer que Montréal est une métropole culturelle internationale. Il misera notamment sur le succès espéré de la Place des festivals, dont le lancement aura lieu mardi prochain avec le 30e Festival de jazz. Mais y est-on vraiment? Que manque-t-il à Montréal pour y arriver?

Montréal est une boisson énergisante, un iPod géant, une grappe de grappes industrielles. Le moteur de la métropole est la création, ce bouillonnement inspirant qui se ressent autant en affaires que dans les arts, en recherche et développement qu'en design. Ce ne sont pas des artistes qui l'affirment, mais des spécialistes de la gestion.

 

«Montréal n'est pas une ville spécialisée, a dit Laurent Simon, professeur à HEC Montréal, lors d'une conférence sur la créativité. Les interactions entre les différentes entreprises créatives font sa richesse.»

Professeur invité au même endroit, Patrick Cohendet voit à Montréal des signes évidents de cette créativité qui fait tourner le monde d'aujourd'hui.

«Comme à Berlin, à Buenos Aires et à Barcelone, dit-il, on trouve ici les trois «T»: technologie, talent, tolérance. Montréal est cité dans le rapport de l'ONU de décembre 2008 sur l'économie créative. On passe en ce moment de l'efficacité productive à l'intensité créative. Ce changement profond ébranle nos bases industrielles. Montréal en est.»

D'ici ou d'ailleurs, les professionnels de culture et de créativité disent que Montréal est l'un et l'autre, foyer culturel et oasis de création.

«La ville doit se convertir en une capitale culturelle internationale. Même si elle n'est pas une capitale politique ou économique, elle possède tous les atouts pour se transformer en une métropole qui se battra en première division.»

Cette citation aurait pu venir de Gérald Tremblay, de Gilbert Rozon ou d'Alain Simard, mais elle est le fait du délégué à la culture de Barcelone, Jordi Marti, à propos de sa propre ville. La métropole de Catalogne n'est-elle pas déjà une métropole culturelle mondiale? Le regard des autres, avouons-le, est rassurant.

«Je ne comprends pas pourquoi plusieurs artistes veulent aller à Berlin plutôt qu'ici, se demande la journaliste new-yorkaise et montréalaise d'adoption Lisa Hunter. Montréal est une ville plus agréable. Si l'on s'en rendait compte, nous aurions un statut international encore plus important.»

Être soi-même, ça vous dit? Les spécialistes s'entendent sur une chose: une ville doit être profondément accrochée à sa fibre naturelle, constamment en lien avec son code génétique, si elle veut se réaliser.

«Berlin s'est réinventé complètement en 20 ans, explique Monica Zessnik, chercheuse berlinoise. La ville est le résultat de la réunification, de l'histoire et de l'immigration. Le mélange de haute culture, musées et orchestres, et de l'underground, arts électroniques et visuels, fait de la ville un terreau très fertile. Les Berlinois sont très ouverts.»

Les trois «T» encore une fois. Peut-être que Montréal a tout ce qu'il faut, dans le fond. Mais la confiance en soi n'a jamais été la grande qualité des «patenteux» et débrouillards que nous sommes.

«On a de la difficulté à s'assumer, pense Hélène Godin, directrice de création à l'agence Sid Lee. Maintenant, il faut créer, réaliser et célébrer. Une métropole culturelle, ça doit commencer par une définition de ce qu'on est et y croire intensément.»

Montréal, c'est...

Monique Savoie, présidente de la Société des arts technologiques, haut lieu montréalais des arts numériques reconnu internationalement, croit en la jeunesse en tant que vecteur fondamental de Montréal, métropole culturelle.

«Les jeunes n'ont pas les mêmes références, ni les mêmes peurs, souligne-t-elle. Ils parlent plus d'une langue et développent plusieurs talents. On doit faire confiance à leur imagination, à leur audace.»

Charles-Mathieu Brunelle, désormais aux commandes des Muséums nature de Montréal après la TOHU, croit que Montréal possède tous les ingrédients nécessaires pour «créer et changer le monde», à condition, ajoute-t-il, de travailler «en profondeur» et de «s'ouvrir à l'autre».

Roger Parent, qui a quitté le Cirque du Soleil en 1994 pour une carrière internationale en production de spectacles, dit sentir «depuis toujours que Montréal a une plus-value qu'on n'utilise pas ici et qui est reconnue ailleurs. La créativité, c'est l'engrais dans notre jardin, arrêtons de marcher dessus et ça va pousser».

Pour qui? Pour quoi?

Si la culture et la création entretiennent la flamme montréalaise, pour qui et pour quoi Montréal brûle-t-il? Les touristes ou les habitants de la ville?

«Les deux, croit Simon Brault, président de Culture Montréal. Les villes vont se distinguer par l'offre culturelle, mais aussi par la participation culturelle de leurs citoyens. Notre avenir repose sur notre capacité à jouer là-dessus.»

Il reconnaît que Montréal manque d'icônes et qu'il est «scandaleux» de ne pas utiliser le talent des architectes locaux, mais la venue de touristes à Montréal est liée à notre richesse artistique, selon lui.

«On doit mettre en équilibre le tourisme et le rayonnement culturel, note-t-il. Beaucoup de créateurs montréalais s'exportent et participent au succès touristique de notre ville. Les gens n'iraient pas en Bourgogne si ses viticulteurs n'exportaient pas leur vin. Mais si on ne prend que des décisions touristiques, ça va devenir un phénomène artificiel.»

As du marketing, plusieurs Américains ont compris que tout commence chez soi. Leurs actions s'inscrivent dans le tissu local.

«Nous nous disons à Chicago que, si une manifestation culturelle attire les résidants, elle plaira aussi aux visiteurs. Nous pensons aux habitants d'abord, explique Matt Nielsen, du département des affaires culturelles de la Ville. Plusieurs d'entre eux offrent bénévolement des visites aux touristes. Ils partagent leur fierté et leurs connaissances.»

Émulation

Rien n'interdit de regarder dans le jardin du voisin pour y débusquer une plante qui décorerait bien le nôtre. Dans le monde entier, les villes progressent en misant sur les arts et la culture. On rénove et construit des équipements culturels et des ateliers d'artistes. Les manifestations et les festivals se multiplient.

En 2004, Lille est devenue capitale de la culture en Europe, ce qui lui a valu la création d'emplois et de richesse.

«Pourtant, la ville n'était pas une destination», a soutenu récemment Didier Fusillier, grand manitou de Lille 2004 mais aussi de Bombaysers de Lille en 2006 et de Lille 3000 ce printemps. Il estime que le tout «a stimulé une activité touristique durable et a contribué à créer du lien social. Mon combat est de rapprocher la culture des gens qui n'y ont pas accès».

Jordi Marti croit qu'une ville culturelle n'est jamais monolithique: «Il y a des milliers de Barcelone, comme des milliers de Montréal.»

«La culture n'est pas une dépense futile, ajoute-t-il. Mais la ville a changé si vite que certains habitants peinent à s'y reconnaître aujourd'hui.»

Il n'y a donc pas que des avantages à mettre culture et créativité au service de la croissance. En 2002, le maire de Berlin a déclaré que sa ville était «pauvre, mais sexy».

«La situation économique reste précaire, indique Monica Zessnik. Des bars, galeries et théâtres clandestins ont ouvert depuis deux ans, mais heureusement la ville a lâché prise, comprenant leur importance culturelle.»

Grands projets

Montréal n'étouffe pas encore sous le flot des touristes. La ville manque peut-être de symboles forts, mais Charles-Mathieu Brunelle souligne qu'il n'est «pas important de savoir si on est pour ou contre un téléphérique. L'idée, c'est de voir comment on peut se déplacer de manière originale. Ce sont les citoyens qui doivent créer le show».

Devant la Place des festivals récemment, le président du Quartier international de Montréal et mandataire de la Ville pour le Quartier des spectacles, Clément Demers, réfléchissait à voix haute.

«Il y a 40 ans, on construisait pour l'intérieur, disait-il au sujet de la Place des Arts. Aujourd'hui, on l'a vu dans le monde et dans le Quartier international, les gens veulent se retrouver ensemble dans des places publiques pour célébrer.»

Simon Brault ajoute que «le plus important, c'est la rencontre entre les mouvements sociaux et l'art. On ne peut pas séparer ce qui se passe à Barcelone et à Berlin du retour à la démocratie, et à Lille, de la présence d'un gouvernement de gauche. Montréal est également une ville traversée de mouvements sociaux puissants».

Hélène Godin, de l'agence Sid Lee, milite d'ailleurs en faveur de «projets qui mettent en valeur autant nos coins de rue que les parcs ou l'eau. On est une île et on ne fait rien avec le fleuve».

Et la crise?

Le nerf de la guerre, toute culturelle et créative qu'elle soit, est les investissements publics et privés. Le Quartier des spectacles bénéficie de fonds atteignant les trois quarts de milliards, mais la crise risque-t-elle de tout faire dérailler?

«L'économie créative s'est accrue quatre fois plus vite que celle des services ou deux fois plus vite que le secteur manufacturier depuis 1990, note Patrick Cohendet. La croissance est donc liée aux industries créatives. Les villes qui en vivent s'en sortent mieux.»

Faut-il à Montréal son Frank Gehry, son Guggenheim?

«Bilbao est un mauvais exemple pour Montréal, croit Hélène Godin. Elle n'était pas sur la carte du monde avant le Guggenheim. C'est différent à Montréal. Il ne faut surtout pas s'américaniser ou essayer de se rendre intéressant en faisant comme les autres. Notre force, c'est les gens.»