L'Action terroriste socialement acceptable (ATSA) a 10 ans. Pierre Allard et Annie Roy, les fondateurs, soulignent l'événement en ouvrant un magasin, Change, et en lançant une monographie, Quand l'art passe à l'action.

Tout le monde change. Même les artistes engagés, les militants et les terroristes acceptables. Après 10 ans d'interventions artistiques pour changer le monde, Pierre Allard et Annie Roy ont, eux aussi, besoin de changement.

 

Ils ont tellement crié, écrit, échangé et changé qu'on ne voit guère plus la matière première, leur création artistique. Ils auraient envie d'entrer au musée. Ils ont atteint la quarantaine et mangent bio. Ils ont deux enfants de six et dix ans, peu d'argent et n'ont guère le temps des soupers entre amis. Ils sont fatigués.

À force de porter des causes à bout de bras et d'adopter la devise «je m'oublie», on peut développer une sérieuse tendinite.

«Mais c'est correct», ajoute prestement Pierre. «Oui, on est prisonniers de ce qu'on a créé», avoue Annie. Et Pierre d'ajouter qu'ils aimeraient «faire encore plus de choses tout en dépensant moins d'énergie, en garder un peu pour nous. Avoir plus de liberté d'action, mais moins se brûler... on n'y est pas tout à fait».

Pas question d'arrêter donc, malgré tout, et en raison de tout ce qui ne va toujours pas: l'environnement, la pauvreté, l'exclusion, la surconsommation...

«Je trouve ça drôle qu'on se vende, dit Pierre en se référant aux bouts d'oeuvres, aux bouts d'eux étalés dans leur galerie-boutique. Mais nos parents et grands-parents avaient des magasins. C'est comme un retour aux sources.»

«Comme dans tout ce qu'on fait, ajoute Annie, il y a une part de paradoxe et de dérision. C'est une critique de notre société de consommation. En même temps, le commerce c'est échanger avec les autres, établir des discussions. C'est social. Les gens peuvent acheter quelque chose, mais ils partent aussi avec notre message.»

«Change»

Comme ils ne laissent rien au hasard, le nom du «commerce» qu'ils ont ouvert jusqu'au 20 décembre sur le boulevard Saint-Laurent, Change, est multi-directionnel.

«Le message, cette fois, c'est de passer à l'action, explique Annie. Faire un geste, faire le geste. C'est comme entrer ici, jeter son petit change par terre et marcher en pied de bas sur l'argent sale. C'est un geste libérateur et généreux à la fois.»

Sensibiliser, conscientiser, mobiliser. Depuis 1997, ils ont émis des fausses contraventions, brûlé des automobiles, abrité les sans-abri et déchiqueté les déchets. Ils l'ont fait à Montréal, surtout, mais à Paris aussi, Hull, Québec, Calgary et Ottawa.

«On n'est pas là pour juger, mais aider l'autre, dit Pierre. On n'est pas vraiment religieux, mais l'idée reste: «Aime ton prochain comme toi-même.» Au Québec, on a tassé les valeurs qui allaient avec la religion et on se retrouve dans un certain vide.»

L'art thérapeutique

En entrevue, les deux complices s'interrompent l'un l'autre, gesticulent, se fâchent un instant, se complètent. Ils parlent encore et encore, à en perdre le souffle. Surtout quand il est question de politique, des artistes et de Stephen Harper.

«Quand je pense à la pauvreté et à l'État d'urgence, c'en est une solution, l'expression artistique, lance Annie. Pour tout le malaise que les gens peuvent ressentir et tout ce qu'il y a de thérapeutique quand on fait de l'art. Tout ce qui est essai, erreur, échec, quand tu as envie d'embarquer dans un projet, un dessin, une sculpture, une vidéo, c'est parce que tu as un projet. Tu n'es pas pauvre!»

L'espoir, ils ne l'ont pas perdu. Ils aperçoivent çà et là que les choses et les gens changent pour vrai.

«Quand on disait avant aux gens d'éteindre le moteur de leur voiture, ils nous envoyaient promener, se rappelle Pierre. Maintenant, ils s'excusent. On croit beaucoup au changement par le bas. Il y a 10 ans, il se vendait trois sacs de café équitable. Aujourd'hui, il s'en vend des tonnes. J'ai hâte que McDonald en vende. C'est pas le meilleur restaurant en ville, mais why not

Au temps du Peace&Love, l'expression «artiste engagé» n'existait pas encore. Ils en étaient presque tous. Aujourd'hui, ces humanistes-idéalistes ont été refoulés à la marge. Plus ça change, moins c'est pareil.

___________________________________________________________________

Change, 4351, boulevard Saint-Laurent, jusqu'au 20 décembre.