«Algérien pour toujours, Français à tous les jours», cet artiste brillant est assurément le premier Maghrébin à avoir incarné l'attitude rock sur les scènes du monde.

Rachid Taha aurait eu 60 ans le 18 septembre. La Grande Faucheuse a eu raison de lui, six jours avant qu'il ne boucle la sixième décennie d'une existence exceptionnelle.Les chroniqueurs de sa génération se souviennent de Carte de séjour dans les années 80 avec l'album Rhorhomanie, avant même que Khaled ne déclenche sa réforme raï aux côtés de Safy Boutella.

En 1986, son adaptation de Douce France, classique de Charles Trenet, lui a conféré un rôle critique sur l'immigration dans l'Hexagone sans qu'il soit pour autant considéré comme un chanteur engagé. En fait, Rachid Taha était rock d'abord et avant tout. Lucide, il avait son franc-parler, mais n'avait pas la posture du donneur de leçons.

Résolument rock

Musicalement, Rachid Taha n'était pas un chanteur raï, mais bien un chanteur rock résolument de son époque, ayant pris grand soin d'y greffer sa culture d'origine - particulièrement le chaâbi algérien qu'il affectionnait. On pense d'abord à sa reprise de Ya Rayah (Dahmane El Harrachi) dont on peut encore goûter la fusion rock dans l'album Diwân, opus emblématique des années 90.

Rachid Taha a passé les dix premières années de sa vie à Oran, capitale du raï, là où ont triomphé la grande Cheikha Rimitti et ses successeurs, freinés par la noirceur intégriste des années 90. Enfant de l'immigration économique, il a été transplanté en France avec sa famille, en Alsace, dans les Vosges, puis à Lyon, où il atteint l'âge adulte.

Fin des années 70, il travaille en usine et se met au rock avec les frères Mohamed et Mokhtar Amini. Ensemble, ils fondent un groupe rock et déversent leur fiel sur les autorités françaises d'alors qui restreignent l'immigration et favorisent les expulsions... d'où le nom Carte de séjour. 

Le groupe Carte de séjour est dissous en 1989 parce qu'il est devenu un phénomène social au détriment de la création musicale.

En 1991, Taha lance l'album Barbès, écrit à Oran et enregistré aux États-Unis avec Don Was et Godwyn Logie, certes la vision la plus aboutie de rock et de culture algérienne. En 1993, un album homonyme lance une collaboration pérenne avec le réalisateur anglais Steve Hillage, associé à la fameuse école prog de Canterbury et ex-membre de Gong. Mélange de funk, punk rock, raï, chaâbi et autres musiques maghrébines, cet opus porte la reprise Ya Rayah et l'hyper-lucide Voilà voilà sur le retour de l'extrême droite en France.

Il sort Olé olé en 1995, Carte blanche en 1997 et connaît la notoriété internationale avec Diwân en 1998. L'année suivante, il acquiert le statut de star populaire et remplit Bercy (le plus gros amphithéâtre de Paris) avec les chanteurs algériens Khaled et Faudel pour le spectacle 1, 2, 3 Soleils. En 2000, il sort Made in Medina, dont la chanson Barrasera plus tard incluse aux trames sonores des films Black Hawk Down (Ridley Scott) et The Hunting Party (Richard Shepard). En 2004, il lance Tékitoi, de facture punk rock, portant sa fameuse adaptation arabisante de Rock the Casbah, grand classique de la formation britannique The Clash.

Un public fidèle au Québec

Il revient ensuite aux reprises chaâbi dans l'album Diwân 2, où il interprète à sa manière des titres de chanteurs algériens, notamment Blaoui Houari et Mohamed Mazouni. En 2009, il propose Bonjour, cet opus résulte d'une collaboration avec Gaëtan Roussel de Louise Attaque et Mark Plati, réputé pour son travail auprès de feu David Bowie. Il ralentit ensuite la cadence et ne sort qu'un album, Zoom, de très belle facture, marqué par les collaborations de Mick Jones (son pote des Clash) et de Rodolphe Burger.

En 2016, Rachid Taha est honoré d'une Victoire de la musique pour l'ensemble de sa carrière. Aux dernières nouvelles, il s'apprêtait à sortir un nouvel album, dont le premier morceau devait s'intituler Je suis africain.

Maintes fois venu se produire au Québec depuis les années 90, Rachid Taha y a conquis un public fidèle, notamment aux FrancoFolies et aux Nuits d'Afrique, où il a triomphé il y a deux ans. 

Il s'est toujours montré à la fois généreux, lucide, visionnaire et incisif dans ses interviews avec La Presse au fil des décennies.

Emporté par une crise cardiaque, Rachid Taha avait une santé fragile. Depuis longtemps, en fait, il souffrait d'un mal mystérieux et restait discret sur la question. Les médicaments avaient chez lui un effet parfois étrange. On se souvient d'une prestation au Métropolis, en 2010, où il avait l'air bourré et s'était fait huer pour ensuite se ressaisir. On ne saura jamais si la médication ou l'alcool en avaient été la cause.

Chose certaine, il a donné d'excellents concerts par la suite, malgré une existence de nuitard bien remplie, rock oblige. À ce titre, on retient cette nuit mémorable passée en sa compagnie au feu Laïka en 2013, au terme d'un concert donné à l'Olympia de Montréal. Les noceurs y avaient assurément repris leurs droits...