Avant de s'attaquer à l'opéra Zémire et Azor d'André Grétry, qui sera présenté samedi à la Maison symphonique, Denys Arcand n'avait jamais signé la mise en scène d'un opéra. Ce n'est pas que l'art lyrique ne l'intéressait pas, au contraire.

«Tous les opéras que j'ai vus étaient mal montés, sauf cinq ou six, explique le cinéaste qui nous accueille dans une salle de répétition de la Place des Arts en compagnie du chef d'orchestre Mathieu Lussier. Mais ces cinq ou six-là, c'étaient les meilleurs spectacles de ma vie: Lucio Silla de Mozart monté par Patrice Chéreau, Cosi fan Tutte par Michael Haneke, Orphée et Eurydice par Pina Bausch à l'Opéra de Paris, la Passion selon saint Jean par Robert Wilson à Paris, au Châtelet, les Boréades de Jean-Philippe Rameau monté par John Eliot Gardiner à Lyon et La tragédie de Carmen par Peter Brook aux Bouffes du Nord. Il y avait de tout là-dedans: le chant, le jeu, la danse, on était emporté par la musique et les décors étaient de toute beauté. C'est magique, mais très, très difficile à réussir.»

Deux fois, on lui a fait des propositions en ce sens. Il a refusé de monter Götterdämmerung, le quatrième volet du Ring, à Toronto, parce que Wagner lui «donne de l'urticaire». Et un autre projet avec l'Opéra de Montréal ne s'est pas concrétisé parce qu'Arcand n'y trouvait pas les conditions satisfaisantes requises pour un tel travail.

Il faut dire que le metteur en scène a des exigences qui s'accommodent mal des conditions de travail habituelles à l'opéra. Il tient à participer à la sélection des chanteurs-acteurs au même titre que le directeur artistique de la compagnie ou le chef d'orchestre et il veut avoir suffisamment de temps pour travailler avec eux.

«À Montréal, pour toutes les pièces de théâtre, c'est six semaines de répétitions, c'est dans le contrat de l'UDA, explique Arcand. Je demande la même chose, six semaines. Sinon, ça ne me tente pas et je reste chez nous.»

Les Violons du Roy, qui produisent Zémire et Azor en collaboration avec l'Atelier lyrique de l'Opéra de Montréal, ont acquiescé aux demandes d'Arcand, qui a donc pu travailler avec Lussier et les interprètes au cours de la dernière année au rythme d'environ une semaine par mois.

Destins croisés

Monter un opéra peu connu du XVIIIe siècle pour seulement deux représentations - une à la Maison symphonique et l'autre au Palais Montcalm de Québec , le 27 - est un pari audacieux. «Convaincre qui que ce soit de monter Zémire et Azor en 2015, c'est pas facile. Le faire avec Denys Arcand, ça aide à prendre ce risque-là», reconnaît Lussier.

«On va faire une captation en vidéo à Québec qu'on va faire circuler, on va l'envoyer à des directeurs», ajoute Arcand.

C'est au hasard d'un repas chez des amis communs que les deux hommes, qui ne s'étaient jamais rencontrés, ont partagé leur passion commune pour l'opéra du XVIIIe. Lussier avait justement découvert l'oeuvre de Grétry en entendant Rufus Wainwright chanter un extrait de Zémire et Azor (Du moment qu'on s'aime) dans le film L'âge des ténèbres d'Arcand, qui chérissait cet air depuis qu'il avait entendu Richard Verreau le chanter sur un vieux disque de la collection de son père.

Arcand et Lussier estiment qu'il n'existe pas de bon enregistrement de Zémire et Azor. «Il n'a jamais été bien monté», renchérit le metteur en scène, pour qui cette nouvelle production tient presque de la création. Arcand s'est même permis de reconstituer des récitatifs que Lussier a mis en musique. «Les bouts parlés étaient assez pourris. C'était carrément injouable», explique le metteur en scène.

Grétry a connu la gloire de son vivant. «Il était plus célèbre que Mozart», souligne Arcand. L'essentiel de sa production a été faite avant la Révolution française, mais le changement de régime n'a pas nui à sa popularité. Zémire et Azor, créé en 1771, est calqué sur le conte La belle et la bête, dont les adaptations ne manquent pas, à la scène comme au grand écran.

«Les grands mythes, que ce soit le petit chaperon rouge ou Cendrillon, il en existe mille versions, c'est joué tout le temps, reconnaît Arcand. C'est encore monté aujourd'hui parce que c'est fondamental. C'est une histoire qui appartient à l'inconscient de l'Occident: la belle qui dit au monstre je t'aime et il devient un prince.»

La retenue

Ce que Lussier apprécie des opéras du XVIIIe, et qu'il retrouve dans Zémire et Azor, c'est une aspiration à un idéal, une effervescence qui annonce la Révolution française et une langue française qui arrive à maturité. «Même quand ce n'est pas de la très bonne dramaturgie, la langue est magnifique», dit-il.

Arcand, lui, aime bien remettre en valeur une musique qui a été négligée parce qu'occultée par la popularité de compositeurs de la même époque, dont Mozart et Haydn.

«Et puis, dit-il, j'ai beaucoup de difficulté avec l'enflure romantique: Tosca qui poignarde le gars puis qui se jette en bas des remparts. Moi, j'aime les trucs retenus du XVIIIe siècle. Mes films Les invasions barbares ou Le déclin de l'empire américain sont des conversations. La tragédie y est présente, mais elle est à l'arrière-plan. Ça ressemble à du Marivaux, aux Liaisons dangereuses, un style que j'aime, qui est élégant et où tout est toujours un petit peu retenu. Je me sentirais aussi à l'aise dans Mozart, mais pas dans Verdi. Je ne sais pas ce que je ferais avec La donna è mobile.»

«Tu la pitcherais en bas d'une tour», réplique aussitôt Mathieu Lussier. Et les deux complices pouffent de rire.

À la Maison symphonique, le 23 mai, et au Palais Montcalm, le 27.