Rumours a été lancé il y aura bientôt 38 ans, et pourtant Montréal n'a jamais vu ensemble les cinq membres du groupe anglo-américain qui ont enregistré cet album parfait. Demain soir, le Fleetwood Mac classique montera donc sur la scène du Centre Bell pour la première et, fort probablement, la dernière fois.

Quand Fleetwood Mac s'est pointé au Forum, le 20 octobre 1987, il lui manquait un gros morceau: son guitariste, chanteur, auteur-compositeur, arrangeur, réalisateur et leader musical Lindsey Buckingham, qui avait pris la poudre d'escampette immédiatement après l'enregistrement de l'album Tango In the Night. «C'était fou en studio, et je savais que ça le serait encore plus sur la route», nous a-t-il expliqué des années plus tard.

Le 25 mars 2009, au Centre Bell, c'est Christine McVie qui manquait à l'appel et elle n'aurait pas non plus été du rendez-vous suivant, prévu le 18 juin 2013 au même Centre Bell, s'il n'avait pas été annulé sous prétexte du commode «conflit d'horaires».

Contre toute attente, elle s'est toutefois pointée trois mois plus tard sur la scène de l'aréna O2 de Londres et a chanté son succès Don't Stop avec Buckingham, Stevie Nicks, Mick Fleetwood et John McVie pour la première fois en 15 ans.

En décembre de la même année, Christine McVie déclarait au Guardian qu'elle ne demandait pas mieux que de réintégrer la formation: «S'ils me le demandaient, je serais probablement très ravie.» Les autres membres de Fleetwood Mac n'ont pas caché leur surprise. Dont Mick Fleetwood, qu'elle avait jadis prié de ne jamais lui demander de revenir.

Christine McVie avait fait une croix une fois pour toutes sur Fleetwood Mac en 1998. Elle en avait marre des tournées et faisait des crises d'angoisse liées en bonne partie à sa phobie de l'avion, dont elle se serait guérie depuis par une thérapie.

Finalement, elle aura mis 15 ans à se rendre compte que la petite vie paisible dans son manoir du XVIIe siècle en pleine campagne anglaise n'était pas faite pour elle, même à 70 ans.

La décision de rentrer au bercail, c'est elle seule qui l'a prise, disent-ils tous d'un commun accord. Même Lindsey Buckingham qui, tout sceptique qu'il fût au départ, a renoué avec le plaisir d'écrire des chansons avec l'incurable romantique du groupe.

Et si cette tournée On With the Show et le nouvel album qui devrait suivre constituent vraiment le dernier tour de piste de Fleetwood Mac (comme l'a déclaré récemment Buckingham au réseau de télé américain PBS), Christine McVie n'a peut-être pas voulu rater cette occasion ultime de renouer avec un groupe vraiment pas comme les autres.

La tempête



Christine McVie est, après le batteur Mick Fleetwood et son ex-mari de bassiste John McVie, celle qui aura vécu la plupart des vies de ce groupe phénix. La jeune Christine Perfect n'était pas de la formation d'origine regroupée en 1967 autour du génial guitariste Peter Green, mais elle a dû le croiser en tournée quand elle faisait partie d'un autre groupe de blues rock anglais, Chicken Shack. Peu après son mariage avec John McVie, elle s'est jointe à Fleetwood Mac, qui venait de perdre coup sur coup les guitaristes Green et Jeremy Spencer.

Elle a donc connu les années Bob Welch au cours desquelles le nouveau Fleetwood Mac s'est mis au service de cet auteur-compositeur-chanteur-guitariste américain. Et quand, après le départ de Welch, Mick Fleetwood a repéré Buckingham, qui exigeait qu'on embauche également sa copine Stevie Nicks, c'est à Christine McVie que Fleetwood a demandé de trancher.

On connaît la suite: en deux albums, Fleetwood Mac et Rumours, le groupe s'est hissé au sommet des palmarès mondiaux. Il a même fallu attendre la parution du Thriller de Michael Jackson, dans les années 80, pour que Rumours perde son titre d'album le plus vendu de l'histoire.

Fleetwood Mac a accouché de cet album parfait dans la douleur. Fleetwood se séparait de sa femme et allait avoir une liaison avec Nicks, dont la relation avec Buckingham battait sérieusement de l'aile. Le couple McVie divorçait, et Christine fréquentait l'éclairagiste en chef de la tournée qui a vite perdu son emploi. Ajoutons à cela des quantités industrielles de cocaïne et d'alcool qui auraient fait sombrer la plupart des groupes de cette époque.

Ces tensions ont-elles fait de Fleetwood Mac un meilleur groupe? En tout cas, elles ont provoqué la création de chansons qui, à ce jour, comptent parmi les plus beaux fleurons de l'histoire de la musique pop-rock: Go Your Own Way de Buckingham, Dreams de Nicks ainsi que You Make Loving Fun et Don't Stop que Christine McVie a écrites respectivement pour son amant éclairagiste et son ex-mari bassiste. La même Don't Stop qui, ironie du sort, est devenue la chanson de ralliement de Bill Clinton lors de l'élection de 1992 et a provoqué les énièmes retrouvailles de Fleetwood Mac.

Ce genre de saga, ça ne s'invente pas.

Au Centre Bell jeudi, 20h

Cinq disques essentiels

L'histoire de Fleetwood Mac ne se limite pas au célèbre Rumours. En 48 ans de carrière, le groupe d'origine anglaise a lancé 18 albums, qui n'ont pas tous eu la reconnaissance méritée. Discographie sélective.

English Rose (1969)

Fleetwood Mac a déjà deux disques au compteur à la sortie d'English Rose. Mais cet album annonce quelque chose de plus personnel. Si le groupe reste fidèle au «british blues» qui l'a fait connaître, il élargit peu à peu sa palette de couleurs et de sons. Premiers tubes marquants, avec l'instrumentale Albatross (no 1 en Grande-Bretagne) et la vaudouesque Black Magic Woman, une composition du fondateur Peter Green, qui sera reprise avec succès par Santana.

Then Play On (1969)

Disque multiforme au croisement du rock, du folk, du blues mutant et de la chanson électrique, Then Play On marque un tournant dans le parcours du groupe. Guitariste sublime et chanteur émouvant, Green s'y révèle un auteur-compositeur lumineux. Les moments de grâce sont nombreux. Mais cela ne suffira pas à sauver ce génie de la folie. Green laissera à d'autres le soin de poursuivre l'aventure FM et, à l'instar de Syd Barrett, il sera même interné.

Future Games (1971)

C'est la période obscure de Fleetwood Mac. Mené par les guitaristes Danny Kirwan et Bob Welch, le groupe se cherche et sombre dans l'oubli. Cet album de transition mérite cependant d'être redécouvert. Tantôt rock, tantôt folk, Future Games est un disque atmosphérique, énigmatique et parfois magique, qui s'apprécie au fil du temps. C'est aussi le disque qui marque l'arrivée officielle de Christine McVie dans la formation. À écouter aux petites heures de la nuit, quand la fête est finie...

Fleetwood Mac (1975)

Le temps des récoltes. Après des années d'errance, ponctuées d'albums inégaux (Penguin, Mystery to Me, Heroes Are Hard to Find) FM s'implante à Los Angeles et embauche le couple Stevie Nicks et Lindsey Buckingham. C'est le début d'un son nouveau, plus commercial, alors que le groupe fait son entrée dans le top 10 américain, avec les chansons Rhiannon, Say You Love Me et Over My Head. La voie est ouverte pour Rumours.

Tusk (1979)

Comment survivre au succès multimillionnaire de Rumours? Le groupe répond à la question deux fois plutôt qu'une avec cet album double ambitieux conçu sur une balloune de coke. Loin d'être une pâle copie de son illustre prédécesseur, Tusk est un disque aussi personnel qu'accessible, souvent accrocheur et étrangement audacieux, qui ratisse tout le spectre du pop-rock, y compris d'improbables incursions côté punk et new wave. Un ultime chef-d'oeuvre, qui résiste bien à l'épreuve du temps.