La soirée Nocturnes du Musée d'art contemporain de Montréal de ce vendredi 7 mai a réservé une bonne surprise aux amateurs de folk expérimental avec la prestation du groupe Elfin Saddle, des Montréalais d'origine britanno-colombienne.

Les Nocturnes permettent de bien finir la semaine de 17h à 21h en allant se promener dans les salles d'expositions du MACM. On peut aussi prendre un verre avec les copains branchés sur l'art contemporain. Mais vendredi, ça valait la peine d'être là. Et ça tombait bien, y avait pas de match du Canadien...

Entre 300 et 400 personnes s'étaient déplacées, en majorité des jeunes, surtout des anglophones. Étudiants, artistes. À 19h, on ouvre les portes de la salle Beverley Webster Rolph. Les spectateurs prennent des tabourets et s'installent face à la scène. D'autres choisissent des tapis de sol pour s'asseoir par terre. Tout se fait dans la bonne humeur. On peut s'acheter un verre de vin dans la salle.

Elfin Saddle avait installé ses instruments sur la scène et quelques éléments de décoration de leur thématique mariant écologie et critique de la société de consommation. Derrière la scène, sur un grand écran, défilaient des images d'un espèce de jardin fantastique dont on ne comprenait pas encore la signification. En même temps, une installation automatisée avec des chronomètres permettait d'entendre des sons d'harmoniums et d'autres dispositifs sonores.

Le groupe est monté sur scène: Emi Honda, d'origine japonaise, son partenaire Jordan McKenzie et le contrebassiste Nathan Gage. Première tune, They shoot music.

L'atmosphère était lancinante. Le folk experimental d'Elfin Saddle nous ramène dans les années 60-70 avec des intonations de space rock allemand voire floydiennes, tout en étant fondamentalement contemporain. Pas de musique électronique ici mais l'utilisation des sonorités d'un grand nombre d'instruments: l'accordéon, les percussions, la guitare sèche, le banjo, le ukelele, le glockenspiel, les clochettes, les grelots, etc.

Honda a une voix assez claire et, bien qu'elle n'ait pas étudié la musique japonaise, on sent l'influence de ses racines de l'île de Shikoku, dans le sud du Japon, dans son timbre et sa façon de chanter.

Au début de la prestation, il n'y avait pas d'arrêt entre les morceaux. Les spectateurs, très concentrés (le silence règnait comme dans une salle de concert classique, sans les crises de toux), profitaient de toutes les nuances de la musique d'Elfin Saddle, aux accents parfois amérindiens. Jordan a ensuite salué le public en disant « c'est super de voir tous ces visages pâles! »

Pour le quatrième morceau s'est ajoutée la violoncelliste Kristina Koropecki et le violoniste Nicolas Scribner. Le style était plus folk. Avec le film qui défilait derrière, on était vraiment pris dans une atmosphère parfois très planante. À force de regarder les détails du film, on comprenait qu'il s'agissait de prises d'images d'un monde minuscule, comme si l'oeil se glissait entre des brins d'herbe ou les fibres d'un tapis. Comme un dessin animé féérique ou ces images d'acariens grossis au microscope électronique.

La dernière chanson avait des intonations tzigane et de fanfare avec l'accordéon dont quelques notes évoquaient même le musette parisien dans le genre Tiersen. Mais Emi Honda a dit à La Presse, après le spectacle, qu'elle n'avait pas ces influences, que c'est la nature qui inspirait leur folk hybride.

D'ailleurs, cette dernière chanson chantée en japonais s'appelait Ocean. Très beau moment où Emi a laissé sa voix se développer et donner toute sa puissance, sans forcer, quand c'était nécessaire. Jordan n'a pas le même organe mais ce n'est pas trop dérangeant.

Gros succès, les gens ont aimé et l'ont fait savoir.

Alors qu'on débarrassait quelque peu la scène des plus gros instruments et des micros, le court-métrage Wurld a été projeté en « première nord-américaine » après avoir été projeté en « première mondiale » à Vienne, en Autriche, en novembre dernier. Il s'agit d'une vidéo de 30 minutes réalisée par Emi et Jordan et tournée sur un terrain inoccupé de Montréal où ils ont créé une installation. Le terrain était couvert de débris. Ils l'ont nettoyé, ont mis du compost et ont fait pousser des végétaux.

Au début du film, on observe ces herbes pousser grâce aux procédés d'accéléré et d'animation par arrêt sur image. On voit l'évolution de la végétation au fil des jours, dépendamment de la lumière.

Puis, des objets apparaissent dans le champ de la caméra, un escargot, des boulons, des morceaux de tuyaux. Au fur et à mesure, de nouveaux objets apparaissent. Une société au ras du sol s'installe, un manège s'organise. Les images donnent vie à ces objets inanimés qui, bougeant, ont soudain une âme.

Le jardin devient vite une ville fantastique et l'on se rappelle alors les images projetées durant la performance musicale qui référaient, on le comprend finalement, à la même démarche artistique.

Plus le film avance, plus les objets bougent. Des constructions se forment, un tunnel, des immeubles, une voie de chemin de fer. La société grandit, se complexifie, se robotise. Les plantes deviennent marginales. Des structures géantes apparaissent, d'autres disparaissent. On sent une critique de l'urbanisation à outrance, de l'industrialisation, de la médiatisation. Les sons du film devenant plus bruyants jusqu'à atteindre une sorte de brouhaha.

Finalement, on atteint une sorte de chaos. Les plantes disparaissent. On retrouve le champ de débris que les deux artistes avaient trouvé pour faire le film, film qui s'achève par l'image brouillée des fins d'émissions télévisées.

Les spectateurs ont beaucoup apprécié. Une belle soirée intéressante avec des artistes au talent multidisciplinaire et aux messages brillamment exposés.

Pour ceux qui sont intéressés par Elfin Saddle, le film Wurld sera disponible cet automne sur Constellation et le groupe joue en concert le 14 mai à Toronto et le 15 mai à London (Ontario). Pour informations et voir un extrait du film : www.elfinsaddle.com. Sinon, les prochaines Nocturnes du MACM auront lieu le vendredi 4 juin.