Que Stevie Wonder lance les festivités du 30e anniversaire du Festival international de jazz demain soir est un heureux concours de circonstances. Le grand artiste américain s'apprête justement à enregistrer un album de jazz avec Tony Bennett dans deux mois.

À Londres, l'an dernier, Stevie Wonder a amorcé son spectacle en reprenant le classique All Blues de Miles Davis, son harmonica se substituant à la trompette du grand Miles. Si vous avez vu le DVD Live at Last, vous savez que Wonder s'est aussi mesuré à Spain, une composition de Chick Corea inspirée du Concierto de Aranjuez de Joaquín Rodrigo.

 

Stevie Wonder qui donne dans le jazz, ça n'étonnera pas ceux qui ont suivi le riche parcours de cet artiste dont le tout premier album s'intitulait The Jazz Soul of Little Stevie. Un disque instrumental sur lequel il jouait des percussions, de l'harmonica chromatique, du piano et de l'orgue en plus d'écrire la musique de deux pièces.

L'enfant prodige avait 11 ans. Voilà qu'à 59 ans, il s'apprête à boucler la boucle en enregistrant un album de jazz avec nul autre que Tony Bennett, sous la direction du réputé réalisateur Quincy Jones.

«Stevie veut faire un album de jazz avec moi et nous entrons en studio en septembre, nous confirme au téléphone Tony Bennett, lui-même invité du Festival de jazz. Stevie et moi allons chanter ensemble avec plusieurs grands musiciens de jazz, dont Herbie Hancock.»

Ce n'est pas d'hier que Stevie Wonder parle de faire un album de jazz. En décembre 2004, peu avant le lancement de son dernier disque A Time 2 Love, il confiait au magazine Billboard qu'il avait trois objectifs immédiats: un album de jazz avec de l'harmonica, un album de gospel et une comédie musicale.

«Stevie adore le jazz, reprend Tony Bennett. Nous avons gagné trois prix Grammy pour For Once in My Life, qu'on a chantée ensemble (sur l'album Duets: An American Classic de Bennett, 2006). En studio, Stevie s'éclatait en jouant du jazz au piano quand il m'a dit: «Je ne suis pas encore prêt, mais je voudrais faire un album de jazz.» Je lui ai répondu: Comment ça, t'es pas prêt? Écoute ce que tu joues présentement. T'as rien qu'à jouer comme ça, c'est du jazz!»

Wonder et Bennett n'entreront en studio qu'en septembre, mais le travail est déjà commencé. «Je lui ai soumis quelques chansons qui m'intéressent, des grands standards du jazz comme Lush Life, dit Tony Bennett, 82 ans. J'aimerais faire plusieurs des chansons de Stevie et quelques-unes de Marvin Gaye.»

Le réalisateur Quincy Jones, un grand du jazz qui était également en studio pour le Thriller de Michael Jackson, a mentionné récemment au magazine Billboard qu'il y aurait en effet sur ce disque plusieurs chansons de Marvin Gaye, un contemporain de Stevie Wonder dont l'album aux thématiques sociales What's Going On a influencé Wonder dans la période la plus créative de sa carrière, au début des années 70. «Mais on va les faire à la manière jazz parce que Marvin a toujours voulu être un musicien de jazz», a précisé Jones.

»Un génie», dit Jeff Beck

Quand nous lui avons appris que le 30e Festival de jazz de Montréal serait lancé par un grand concert gratuit de Stevie Wonder, Tony Bennett a fait «Wow!» Même réaction chez le talentueux jeune artiste britannique Jamie Cullum et chez le guitariste Jeff Beck qui a collaboré avec Stevie Wonder au début des années 70.

«Ce gars-là est un génie, affirme Beck. À l'époque (en 1972), après avoir entendu le Mahavishnu Orchestra, je n'étais plus capable de créer quoi que ce soit. Ma maison de disques, Epic, voulait un album à tout prix et me demandait de sortir de mon isolement pour faire de la musique. Epic s'est organisée pour que je joue sur l'album que Stevie préparait (Talking Book). Quand Stevie a dit: «Oui, amenez-moi Jeff», j'ai sauté dans le premier avion!»

Grand fan de Wonder, Beck lui a demandé une chanson en retour. Dans le livret du coffret Beckology, le guitariste anglais raconte qu'il jouait un beat funky à la batterie pour s'amuser quand Wonder est entré en studio. Wonder lui a dit de ne pas arrêter et il a composé sur le champ Superstition. Beck croyait que Wonder lui donnerait cette chanson avec «le riff du siècle», mais l'artiste aveugle l'a vite enregistrée et Superstition est devenue l'un des grands succès de sa carrière. Beck l'a aussi enregistrée en 1973, mais ce fut surtout un moment fort de ses spectacles de l'époque.

Beck s'est repris deux ans plus tard en enregistrant pour son album Blow By Blow deux chansons de Stevie Wonder: l'inédite Thelonious, dédiée au jazzman Thelonious Monk, et Cause We've Ended as Lovers, un hommage senti au guitariste Roy Buchanan que Beck va sûrement jouer à la salle Wilfrid-Pelletier.

Cause We've Ended as Lovers est une chanson de rupture amoureuse que Stevie Wonder a écrite pour son ex-femme, la chanteuse Syreeta Wright. Dès que Beck l'a entendue, il a voulu l'enregistrer. «Quand j'entends une voix de femme, j'essaie de reproduire sa pureté. Avec Cause We've Ended as Lovers, j'y suis parvenu: ma guitare a quelque chose d'une voix de femme.»

> STEVIE WONDER, SCÈNE GENERAL MOTORS, demain, 21h30. > TONY BENNETT, SALLE WILFRID-PELLETIER, 3 JUILLET, 19h30. > JEFF BECK, SALLE WILFRID-PELLETIER, 6 JUILLET, 18h ET 21h30.