Comment rajeunir son public? Le Metropolitan Opera joue de plusieurs cordes à son arc pour attirer dans ses sièges de velours une génération de «millenials» (milléniaux) plus habitués à zapper des vidéos musicales sur téléphones intelligents qu'à de longs spectacles inspirés par des compositeurs morts depuis des lustres.

À 135 ans, désormais emmené par le directeur artistique québécois Yannick Nézet-Séguin, le grand opéra new-yorkais multiplie les innovations pour dynamiser une fréquentation qui semblait condamnée à décliner lentement, loin des salles pleines à craquer qui ont fait sa gloire au XXe siècle.

L'opéra new-yorkais offre désormais chaque mois, les vendredis soirs, des soirées pré-spectacle spécialement destinées aux moins de 40 ans, permettant de faire des selfies avec des chanteurs déjà costumés, tout en dégustant vins et fromages sous les tableaux de Marc Chagall qui ornent les murs du Lincoln Center.

M. Nézet-Séguin a arraché un accord avec les syndicats qui lui permettra d'ouvrir ses portes le dimanche pour des matinées, avec l'espoir qu'elles soient aussi demandées que celles du samedi.

Il a aussi imposé à ses employés une pause hivernale en février, lorsque le tourisme à New York est au plus bas, pour prolonger la saison jusqu'en juin, lorsqu'il est au plus haut.  

Yannick Nézet-Séguin a annoncé d'autres changements de contenu, comme des collaborations inédites avec la Brooklyn Academy of Music ou le Public Theater, et des spectacles plus politiques, y compris l'histoire d'une religieuse accompagnant les condamnés à mort, déjà adaptée au cinéma par Tim Robbins dans La dernière marche (1995).

«C'est un message très fort que je veux envoyer, sur le fait que l'opéra est pour tout le monde», a indiqué M. Nézet-Séguin au New York Times en septembre.  

«Ce serait illusoire de penser que tout le monde va aimer. Mais ce n'est pas illusoire d'essayer de faire que tout le monde se sente bienvenu», a ajouté le chef d'orchestre, qui a succédé à James Levine, licencié en mars dernier après des accusations d'abus sexuels sur de jeunes musiciens.

Le Met n'est pas le seul grand opéra à essayer de rajeunir sa clientèle.  Milan et Paris, notamment, ont aussi lancé des initiatives.

Mais la simple taille du Met - 3800 places, soit au moins 1000 de plus que les autres salles - rend le défi plus difficile encore. Et l'absence d'enseignement musical dans de nombreuses écoles américaines complique aussi les choses, souligne Gillian Brierley, assistant du directeur général du Met pour le marketing et la communication.

Oser franchir les portes

«Nous avons beaucoup de travail à faire pour aider les gens à franchir nos portes pour la première fois, car il y a une moindre connaissance de la musique classique parmi les générations qui arrivent», dit-il.

La campagne de promotion pour les spectacles à venir semble avant tout vouloir montrer que le Met n'est pas un lieu guindé et ennuyeux, mais que ses spectacles sont plein de rebondissements, riches en trahisons, conflits et intrigues amoureuses.

Otello de Verdi a été renommé Fatal Attraction, tandis que La fille du Régiment, la comédie de Donizetti, est vendue avec le succès de Pat Benatar, Love is a Battlefield (1983).  

Pour Brierley, l'idée est de convaincre les jeunes qu'un opéra est avant tout une histoire, et de jouer sur la notoriété d'un compositeur, des solistes ou d'un style de production.

«C'est tout simplement merveilleux de voir la surprise et la joie des gens qui viennent pour la première fois. Et quand vous réussissez à les faire venir une fois, ils finissent toujours par revenir», a-t-il indiqué. La clé est «de lever leurs réticences à franchir la porte».

Le Met prévoit également d'utiliser bientôt une deuxième entrée, afin de réduire l'attente des gens qui achètent leurs billets en dernière minute, en hausse actuellement, au détriment des abonnés autrefois dominants.  

La nouvelle entrée permettra aussi d'organiser des discussions ou des rencontres post-spectacles, favorisant les rencontres que les jeunes partagent volontiers sur les réseaux sociaux.

Amanda Reyes, étudiante en psychologie, est séduite par le programme du Met, qui a réussi à la faire venir à l'opéra pour la première fois, elle qui y songeait depuis l'enfance sans jamais franchir le pas.

«J'aimais l'idée mais ça semblait hors de portée», a-t-elle déclaré à l'AFP. «Je ne voulais pas être la seule jeune dans la salle».

Après avoir vu Carmen et Madame Butterfly, entre autres, elle n'hésite plus à entraîner d'autres néophytes dans l'aventure.

«Je leur dis: "Venez, vous pourrez mettre de beaux habits, il y aura à boire et à grignoter, vous pourrez profiter du lieu" [...] Et même si les gens ne sont pas super intéressés par l'opéra, ça suffit généralement pour qu'ils disent: "D'accord, je tente"».