Des critiques et des mélomanes l'abhorrent, d'autres l'adorent. On lui reproche de trop grandes libertés avec la partition, trop d'exubérance dans le jeu, trop de singularité dans l'articulation ou les timbres, trop de feu dans les coups d'archet. On l'admire exactement pour les mêmes raisons.

D'origine moldave, la violoniste Patricia Kopatchinskaja ne laisse personne indifférent. Vous n'avez pas déjà choisi votre camp ? Enfin... vous l'aurez fait assurément après son passage à la Virée classique, où elle donne deux concerts : le Concerto pour violon no 1 de Bartók, et le Pierrot lunaire de Schönberg, où elle campe le rôle principal. Fort possible, d'ailleurs, qu'elle s'exécute pieds nus dans les deux contextes, ce qui ajoute à la singularité du personnage.

Néanmoins facile d'approche, au lendemain de son arrivée à Montréal, la soliste se prête très gentiment au jeu de l'interview et n'hésite pas à aller au coeur de sa pensée d'interprète : 

« Bien sûr, affirme-t-elle d'emblée, je m'en tiens aux partitions écrites, mais je recherche d'abord l'esprit de l'oeuvre... qui ne se trouve pas dans les pages. Je crois qu'il faut libérer l'esprit d'une oeuvre, il faut le sortir de sa partition, qui peut devenir une prison. »

« Il faut laisser cet esprit nous chevaucher, le laisser nous parler comme un guide qui se dévoile à notre époque, le laisser communiquer avec le public et les musiciens, et ainsi modeler notre façon de jouer l'oeuvre ici et maintenant. »

- Patricia Kopatchinskaja

Après des études à Vienne et d'autres à Berne où elle a trouvé mari et pays, la violoniste a déjà gravé sa marque, celle d'une artiste indomptable, farouchement libre. Sa forte personnalité s'affirme aussi en tant que leader esthétique : elle est directrice artistique de la Camerata Bern, orchestre de chambre dans sa ville d'adoption, et a été invitée à remplir les mêmes fonctions, l'été dernier, à l'Ojai Music Festival en Californie.

Force est de conclure qu'elle réprouve tout académisme, préférant de loin la transcendance et la transgression.

« Si vous êtes scientifique et que vous vous intéressez à ce qui est connu, vous devenez professeur. Lorsque l'inconnu, le risque ou même la controverse ne vous font pas peur, vous devenez alors chercheur, ce qui s'apparente à un créateur en art. Ce qui m'intéresse se trouve de l'autre côté de la frontière, car je sais ce qui se trouve à l'intérieur. »

PRIMAUTÉ DE LA CRÉATION CONTEMPORAINE

Dans cette optique, Kopatchinskaja ne voit évidemment pas l'intérêt de jouer une pièce de la même manière pendant des décennies.

« La reproduction d'un jeu semblable, c'est bon pour les musées et les archives où logent les mêmes partitions, les mêmes compositeurs, Bach, Mozart, Beethoven, Brahms, Bruckner, Tchaïkovski... Je joue certes les compositeurs classiques, j'adore le faire, mais je crois aussi à la primauté de la création contemporaine, celle de notre temps. »

Même avec les musiques du passé, elle cherche le moyen de débusquer l'introuvable : 

« Je suis aussi convaincue qu'une pièce comporte de multiples possibilités d'être comprise, soutient-elle. De nouvelles couches peuvent toujours être dévoilées. Or, ce qui importe est notre relation avec cette pièce. Il n'y a pas de standards à cet égard, et ce n'est pas dans les conservatoires qu'on trouvera la voie exacte à suivre. »

On comprendra donc que la violoniste puisse choquer... ce qu'elle semble pleinement assumer : 

« Il est bien de recevoir de bonnes et de mauvaises critiques, cela signifie que ceux qui ne nous aiment pas nous ont écoutés avec une certaine attention, qu'on les a touchés malgré tout. Quoi qu'ils pensent, les interprétations lisses et standardisées ne m'intéressent absolument pas. » 

« L'art créatif, pour moi, c'est le danger, c'est la provocation, c'est l'inconfort, c'est une fenêtre qui s'ouvre sur ce qui peut déranger ou faire peur. Un concert n'est pas un massage ! »

- Patricia Kopatchinskaja

Aujourd'hui, l'OSM et son chef Kent Nagano joueront avec elle le Concerto no 1 pour violon de Bartók.

« Cette pièce magnifique de Bartók, je ne l'ai jouée que quelques fois, indique la musicienne. Le jeune compositeur était alors amoureux de la violoniste hongroise Stefi Geyer, il avait écrit ce concerto pour elle. On peut ressentir l'amour de Bartók dans cette oeuvre incroyablement romantique, passionnée, pure, naïve. La violoniste s'est ensuite éloignée du compositeur lorsque ce dernier l'a incitée à l'athéisme... Et l'histoire s'est arrêtée là. Par la suite, la musique de Bartók s'était totalement transformée : plus sombre, plus compliquée, plus dissonante, pourtant excellente. Encore peu connu, ce Concerto no 1 pour violon risque donc d'étonner l'auditoire... et c'est aussi pourquoi je veux le jouer de plus en plus. »

PETIT PIERROT, GRAND PLAISIR

Quant au Pierrot lunaire, oeuvre poétique pour voix et petit ensemble de Schönberg, plat principal d'un second programme dont elle est la soliste, elle en trouve fascinante l'atmosphère générale.

« C'est un rêve fou, avec des images surréalistes, des symboles hallucinants. Vous savez, jouer ce Pierrot est un des grands plaisirs artistiques que j'ai eus dans ma vie. Je n'y joue pas de violon, je ne chante pas le texte, je préfère le dire et établir un lien solide avec chaque instrument impliqué. J'avais voulu le jouer pour mieux comprendre la musique pour violon de Schönberg, si ardue, mais... je ne vois toujours pas de connexion entre son Pierrot et son Concerto pour violon ! [rires] »

Chose certaine, Pat Kop (comme l'appellent ses fans finis !) nous convie à l'inédit dans les deux programmes montréalais dans lesquels elle est impliquée.

« Je ne sais jamais comment cela va se passer. Je compare ça à la cuisine : tu disposes d'une recette relativement connue, mais quand tu montes sur scène devant un nouveau public, tu ne sais jamais quelle sera la nature des ingrédients réunis et quel sera le résultat de la cuisson. Tout devient alors unique. »

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À LA MAISON SYMPHONIQUE, VENDREDI SOIR, 20 h 45, sous la bannière « Folklore et danses hongroises », Patricia Kopatchinskaja est la soliste du Concerto pour violon no 1 de Bartók. Sous la direction de Kent Nagano, l'OSM interprétera aussi les Danses de Galánta de Kodály ainsi que la Danse hongroise de Brahms.

À LA 5e SALLE, SAMEDI, À 13 h, elle se produit sous la direction d'Adam Johnson, avec le violoniste Axel Strauss, l'altiste Neal Gripp, le violoncelliste Matt Haimovitz, le clarinettiste André Moisan, le flûtiste Albert Brouwer et la pianiste Brigitte Poulin. De Schönberg, sera exécuté le Pierrot lunaire, op. 21, parties I, II et III ; de Stravinski, on interprétera Pulcinella, suite pour violon et piano (arrangement de S. Dushkin) : Introduzione, Serenata et Tarantella ; d'Enescu, Impressions d'enfance, op. 28, no 1 : Ménétrier, pour violon solo.