Certains spectateurs ont quitté la salle, choqués par le propos antimilitariste de l'oeuvre. Les autres lui ont réservé une ovation. Un peu plus d'un an après avoir tenu l'affiche à Montréal, l'opéra Another Brick in the Wall est présenté à Cincinnati jusqu'au 31 juillet. Entrevue avec son metteur en scène Dominic Champagne.

Présenter Another Brick in the Wall aux États-Unis est on ne peut plus pertinent à l'ère de Donald Trump, affirme Dominic Champagne.

« Le réflexe conservateur de vouloir se replier sur soi-même est très fort, illustre le metteur en scène québécois en entrevue avec La Presse. Et cela, malgré les utopies qu'on peut nourrir de vouloir être un citoyen du monde. »

Dominic Champagne est de retour à Montréal après avoir assisté à la première américaine de son spectacle inspiré de l'oeuvre de Roger Waters, époque Pink Floyd, vendredi dernier, à Cincinnati.

Another Brick in the Wall bouscule les spectateurs américains aux idées plus conservatrices, convient-il. Certains ont même quitté la salle lors de la première, alors qu'apparaissait, après Bring the Boys Back Home, une citation du 34e président des États-Unis, Dwight D. Eisenhower.

« Chaque bombe, chaque arme qui est fabriquée et chaque navire de guerre qui est mis à l'eau est une insulte à ceux qui ont froid et qui ont faim », disait la citation.

« Immédiatement devant moi, deux personnes se sont levées pour partir, raconte M. Champagne. Le reste de la salle a donné une standing ovation. »

Bien que le mur de Berlin soit tombé il y a près de 30 ans, le président des États-Unis promet d'en ériger un à la frontière avec le Mexique, rappelle le metteur en scène québécois.

Dominic Champagne établit un parallèle entre l'histoire racontée dans l'oeuvre d'origine The Wall et dans l'opéra - le repli sur lui-même du personnage principal devient toxique - et le vent d'intolérance qui souffle actuellement à la Maison-Blanche.

Pink, le personnage principal, n'a jamais connu son père, mort à la guerre. Il a dû composer avec une mère possessive et des professeurs tyranniques. Le jeune homme construit graduellement un mur autour de lui, à chaque traumatisme qu'il vit. Or, il finit par faire tomber le mur et s'ouvrir au monde : une fin heureuse, bref, qui donne espoir dans l'avenir, illustre M. Champagne.

« The Wall dénonce les comportements fascistes et cette dénonciation est mise en scène et dite de façon très éloquente dans l'opéra. »

- Le metteur en scène Dominic Champagne

L'opéra, tout comme l'oeuvre originale, critique les deux guerres mondiales qui ont rendu des enfants orphelins et des femmes veuves, et ce, pour deux générations consécutives.

« C'est sûr que la réaction du public américain est différente de celle de Montréal, poursuit M. Champagne. L'armée américaine a une place très importante aux États-Unis. »

Toutefois, « au-delà de la déclaration politique, il y a une réalité humaniste qui est très bien montrée sur scène par les choristes, et c'est l'une des grandes beautés du spectacle », ajoute-t-il.

TIRER DES LEÇONS DE LA PRODUCTION MONTRÉALAISE

Le spectacle dans sa première mouture avait reçu des critiques mitigées lors de sa présentation au Québec, l'an dernier. Depuis, le metteur en scène y a apporté des changements - l'ordre des scènes a été inversé dans la première partie, à la suite notamment d'une discussion avec Roger Waters.

Le jour de la première américaine, la rock star, alors en pleine tournée en Europe, s'est assurée d'envoyer des mots d'encouragement à l'équipe de production du spectacle.

Les modifications auraient porté leurs fruits puisque l'opéra récolte un franc succès aux guichets en Ohio. Les ventes de billets ont dépassé le million de dollars canadiens, selon le producteur du spectacle, Pierre Dufour.

« La maison d'opéra de Cincinnati existe depuis 98 ans, et le spectacle Another Brick in the Wall est en voie de devenir le spectacle ayant généré le plus de recettes au cours de ses 98 ans d'histoire. Ce n'est pas rien, quand même. »

- Pierre Dufour, producteur de l'opéra

Le spectacle a d'ailleurs attiré l'attention de médias importants comme le New York Times et Billboard.

« Tout le monde peut être touché, même si on ne connaît pas l'album The Wall. L'oeuvre parle de l'être humain, de la déchéance, du pouvoir, d'un humain qui s'oublie... des thèmes intemporels, explique le producteur à La Presse. Les murs existent depuis le début de l'humanité et continueront probablement à exister. »

Le metteur en scène Dominic Champagne espère maintenant que l'oeuvre continuera à voyager : « Souhaitons maintenant que toutes les maisons d'opéra du pays, à l'ère où Trump veut bâtir un mur à la frontière du Mexique, puissent porter ce spectacle et briser les murs. »

photo Philip Groshong, fournie par la production

Une citation de Dwight D. Eisenhower projetée pendant l'opéra a beaucoup fait réagir les spectateurs, le soir de la première américaine.

photo Philip Groshong, fournie par la production

L'opéra récolte un franc succès aux guichets en Ohio, avec des ventes de billets dépassant le million de dollars canadiens.