Dans un pays dominé par l'influence allemande depuis des décennies, les responsables du principal festival américain dédié aux jeunes musiciens classiques cherchent à leur faire découvrir les compositeurs français, souvent mal connus.

Ils sont plus de 600 jeunes musiciens réunis dans la station de ski huppée d'Aspen, au Colorado, pour apprendre au contact de professionnels reconnus mais aussi pour jouer lors de l'un des 400 spectacles produits durant ces huit semaines de formation, de fin juin à fin août.

Et cette année, l'Aspen Music Festival and School a choisi Paris comme thème principal de la saison, pour sensibiliser un public qui connaît beaucoup plus la Ville Lumière pour ses monuments que pour ses compositeurs.

«Dans combien de villes trouvez-vous cette richesse à travers autant d'époques?», interroge Alan Fletcher, directeur du festival.

«Même Vienne a une importance première à deux périodes. Mais Paris compte dans le monde de la musique (classique) depuis des siècles», ajoute-t-il.

«Je ne vois pas de déclin», martèle-t-il. «Le déclin existe, mais dans la manière dont la vie musicale américaine répond à Paris».

Ce compositeur reconnu admet que certains grands noms français, notamment Hector Berlioz et sa Symphonie fantastique, qui sera jouée en clôture du festival le 19 août, jouissent d'une réputation établie aux États-Unis.

Mais s'il se prenait à demander à des jeunes musiciens présents «ce qu'ils connaissent de (Henri) Dutilleux, ils diraient: "Je n'ai aucune idée de qui est ce monsieur"».

Alors que pour lui, «Dutilleux est sans conteste l'un des plus grands compositeurs du XXe siècle et du début du XXIe siècle, et nous devons faire découvrir cette musique aux gens».

Les compositeurs français contemporains Pierre Boulez et Olivier Messiaen ont tous deux travaillé aux États-Unis, où ils ont influencé plusieurs compositeurs, mais leur portée reste limitée, dans un pays où la référence demeure l'Autrichien Gustav Mahler et ses symphonies très structurées.

«Humeur, couleur et texture»

À la faveur de l'arrivée au pouvoir des Nazis, puis de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux musiciens allemands, juifs pour beaucoup, sont venus s'installer aux États-Unis dans les années 30 et 40.

Ils ont alors infusé le monde de la musique classique aux États-Unis, en tant qu'enseignants, interprètes, mais aussi compositeurs pour le cinéma de Hollywood.

Sans caricaturer leur apport, ils étaient majoritairement favorables à une application stricte des règles de la musique classique. «Ils ont adopté le son symphonique allemand», décrit ainsi Asadour Santourian, vice-président du festival, en charge du choix des oeuvres jouées.

«Pour les Français, il est davantage question d'humeur, de couleur et de texture», considère M. Fletcher. «Je crois tout à fait plausible que les jeunes compositeurs américains finissent par dire: "l'approche française nous intéresse davantage"».

Pour familiariser ses ouailles à ce son à la française, les organisateurs du festival ont choisi de mettre en valeur l'apport de Nadia Boulanger (1887-1979), compositrice mais surtout professeure qui a marqué des générations d'élèves, dont de nombreux musiciens américains.

D'Aaron Copland à Philip Glass, en passant par Quincy Jones, plusieurs des compositeurs américains les plus importants du XXe siècle ont suivi ses cours, qui favorisaient la diversité et ouvraient le champ des possibles.

«Nadia était beaucoup plus intéressée par l'individualité, la voix de quelqu'un, plutôt que sa propension à imiter une école» musicale, explique Asadour Santourian.

L'ancien directeur artistique de l'orchestre philharmonique de Rotterdam a aussi choisi Paris cette année parce que la ville demeure, selon lui, l'une des seules où l'on produit de «l'art pour l'amour de l'art».

«Il y a des compositeurs brillants à Londres, bien sûr», dit-il, «mais là-bas, ou à Berlin, on crée de la musique parce que quelqu'un réclame quelque chose de nouveau, c'est destiné à quelqu'un».

«À Paris, ils créent simplement».