Le célèbre chef Mariss Jansons a suscité en novembre une polémique en affirmant que les femmes qui dirigeaient des orchestres n'étaient «pas sa tasse de thé». S'il existe une artiste qui peut prouver qu'il a tort, c'est bien Barbara Hannigan.

La Canadienne est non seulement parmi les sopranos les plus sollicitées au monde, mais également l'une des rares «cheffes» d'orchestre, avec la particularité de chanter et de diriger un ensemble en même temps.

Celle qui vient de rafler son premier Grammy refuse toutefois que le fait d'être femme l'emporte sur son talent.

«Ça me met mal à l'aise dès qu'on regarde le travail à travers le prisme du genre. Ça l'affaiblit», affirme à l'AFP la soprano de 46 ans qui chante jusqu'au 11 avril La voix humaine de Poulenc à l'Opéra de Paris.

«On ne ferait pas ça à un homme; on ne lui dirait jamais "comment conciliez-vous votre genre et ce que vous faites"», ajoute la chanteuse, établie en Europe depuis 20 ans et à Paris depuis deux ans.

«Une femme sur une estrade»

Cette spécialiste de la musique classique contemporaine, visage expressif et longs cheveux châtains, a remporté en janvier le Grammy du meilleur album vocal en classique, pour Crazy Girl Crazy.

Une vidéo d'elle dirigeant et chantant un morceau de l'album - I Got Rhythm de Gershwin - aux Victoires de la musique classique le mois dernier, a été vue près de 1,5 million de fois.

Barbara Hannigan reconnaît toutefois qu'elle présente un profil atypique.

En janvier, lors d'un concert à Munich devant un public de moins de 16 ans, «j'ai regardé ces gamins et je me suis dit "je n'ai pas vu ça quand j'étais enfant; je n'ai pas vu une femme sur une estrade et je n'ai certainement pas vu un chanteur dirigeant en même temps un orchestre"».

Surbookée, elle enchaîne après La voix humaine avec une création mondiale au Royal Opera House le mois prochain: Lessons in love and violence du célèbre compositeur britannique George Benjamin, acclamé pour son Written on Skin, où Hannigan a créé un des rôles principaux.

Cette artiste charismatique doit son succès à sa singularité comme chanteuse-chef d'orchestre mais aussi à son jeu très physique.

Dans La voix humaine - qui a marqué ses débuts à l'Opéra de Paris en 2015 -, elle relève le défi de chanter seule pendant 40 minutes le texte de Jean Cocteau. «C'est comme un thriller, ça n'a rien d'élitiste (comme opéra). C'est épuisant et enivrant.»

«Je deviens la musique»

Incarnant une femme amoureuse en conversation au téléphone avec son amant qui vient de l'abandonner, elle se jette d'un sofa sur le sol, rampe, se tord de douleur, les yeux écarquillés, le visage barbouillé de rimmel. «Moi je n'interprète pas, je deviens le personnage, je deviens la musique. (...) le jeu n'est pas séparé du chant».

Sur scène, elle n'a jamais froid aux yeux: en sous-vêtements pour interpréter Ophelia dans le Hamlet de Brett Dean ou en élève collant un chewing-gum sur la main d'un Simon Rattle amusé avant d'interpréter un air du Grand Macabre de Ligeti.

Hannigan, qui est la compagne du comédien et réalisateur français Mathieu Amalric, s'est inspirée de Glenn Gould, Simon Rattle ou du percussionniste Jean-Pierre Drouet, mais aussi de Jackie Chan, «parfois d'une couleur, d'un mouvement d'un danseur ou encore un paysage».

«Le public est attiré par les performances de haut niveau, c'est comme dans le sport», assure-t-elle.

Comme les sportifs aussi, elle sait qu'avec l'âge, elle dirigera des orchestres plus qu'elle ne chantera. Fondatrice du projet Equilibrium Young Artists, elle encadre aussi de jeunes musiciens professionnels au début de leur carrière.

Un parcours que cette enfant de Waverley, petit village de Nouvelle-Ecosse, à l'extrémité est du Canada, n'imaginait pas avant l'âge de 15 ans, lorsqu'elle a vu un opéra pour la première fois.

«Je me suis rendue compte récemment qu'il y avait moins de gens qui vivent dans mon village que de gens qui travaillent à l'Opéra de Paris, c'est extraordinaire»!», rit-elle.