Ce soir et jeudi, Leonidas Kavakos, l'Orchestre symphonique de Montréal (OSM) et Kent Nagano interpréteront l'archiconnu Concerto pour violon n2 en mi mineur, op. 64 de Felix Mendelssohn. Ce passage du soliste athénien, très apprécié des mélomanes d'ici, est certes très attendu.

La dernière escale de Kavakos, d'ailleurs, demeure l'un des événements marquants de l'année 2016 à Montréal, soit aux côtés du Symphonieorchester Des Bayerischen Rundfunks sous la direction de Mariss Jansons. Le virtuose y avait offert une performance magistrale du Concerto pour violon en ré majeur, op. 35, du compositeur Erich Wolfgang Korngold.

La relation du soliste avec l'OSM, avec qui il se produit cette fois, remonte à l'aube de sa carrière internationale, soit à l'ère Dutoit, au tournant des années 90.

«C'est le premier orchestre important avec qui j'ai travaillé en Amérique du Nord. À la basilique Notre-Dame, nous avions alors joué le Concerto pour violon nº 2 de Max Bruch. Charles Dutoit m'avait invité quelques fois par la suite, sous sa direction ou sous des chefs invités.»

Son agenda s'est toutefois avéré incompatible avec celui de Kent Nagano, malgré de nombreux essais. Ce sera donc une première, raconte le musicien, rencontré à son hôtel avant les répétitions préparatoires aux deux concerts prévus à la Maison symphonique.

Mendelssohn , le «Mozart romantique»

Kavakos aime qualifier Felix Mendelssohn de «Mozart romantique». «Il y a plusieurs points communs entre eux. Par exemple, ils ont tous deux été des enfants prodiges de leur instrument avant de devenir compositeurs. Selon moi, Mendelssohn est une continuation de Mozart: sa musique coule sur des territoires aussi classiques que ceux investis par Mozart, mais sa saveur est plus romantique. Ce romantisme n'est pas sombre comme celui d'un Schumann, remarquez; on y trouve une fraîcheur que vous trouverez aussi chez Mozart.»

À titre comparatif, le violoniste cite le mouvement de la Symphonie «Prague» de Mozart: «C'est effervescent comme le champagne. C'est un peu la même chose avec ce Concerto pour violon n2 de Mendelssohn, mais cette fois en mode mineur. Ce concerto est l'un des plus joués du répertoire parce qu'il est l'un des meilleurs, un des mieux écrits. Son créateur pouvait alors compter sur un entourage extraordinaire [Goethe, entre autres] qui a eu un impact certain sur l'ensemble de sa création, ainsi que sur sa pensée et sa spiritualité.»

Leonidas Kavakos a joué devant public ou enregistré plusieurs oeuvres de Mendelssohn impliquant des cordes, dont le fameux Songe d'une nuit d'été.

«Il y a une grandeur divine intrinsèque à sa musique, une limpidité et une pureté comparables à celle de Jean-Sébastien Bach - qu'il avait contribué à faire renaître dans le répertoire à l'époque. Voilà l'opposé d'un Beethoven dont les partitions géniales ont l'allure d'un champ de bataille!»

Quant à l'interprète... Difficile, voire impossible pour lui de déterminer ses meilleurs enregistrements ou ses plus grandes exécutions en concert.

«Certaines naissances sont plus difficiles que d'autres, mais ce n'est pas à moi de les identifier, même si je consens à réécouter ce que j'ai déjà enregistré. Je ne le fais pas par narcissisme, mais pour cheminer, m'améliorer et m'assurer que j'ai été à la hauteur après avoir épuisé toutes mes possibilités afin d'y parvenir.»

Le temps suspendu

Le musicien dit résister à toute pression, qu'il s'agisse d'un promoteur ou d'une maison de disques, lorsqu'il adhère à un projet artistique.

«Lorsque je décide de plonger, je dois être absolument prêt à jouer les oeuvres choisies. Il faut avoir le sentiment que le temps est suspendu, c'est-à-dire s'assurer que les racines et l'esprit de l'oeuvre seront là à chaque écoute ultérieure. On peut changer soi-même en tant qu'interprète, mais l'intention et la rigueur ne peuvent se transformer fondamentalement. Le manque de rigueur a d'ailleurs contribué au déclin de l'industrie de l'enregistrement musical.»

Des allures de hipster - cheveux longs et barbe de trois jours, vêtements décontractés quoiqu'élégants - cachent bien ce côté « vieille école » de Leonidas Kavakos.

«Depuis la fin des années 80, certains utilisent des enregistrements comme des passeports, se spécialisent stratégiquement, signale-t-il. Je n'y crois pas! Je crois plutôt que la musique est un tout et que chaque époque fait partie de ce tout. Chaque compositeur de chaque époque a posé sa pierre à l'édifice, l'interprète doit en rendre compte.»

Notre interviewé voit cette tendance à l'hyperspécialisation comme une calamité.

«De nos jours, des scientifiques très brillants peuvent vous entretenir de leur champ de recherche et... se montrer incapables de parler de quoi que ce soit d'autre. Aujourd'hui, ces grands spécialistes n'ont plus de contacts avec la vie, n'ont pas de point de vue général sur l'humanité. Souvent, ils ne savent même pas s'exprimer.»

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À la Maison symphonique ce soir et jeudi, 20 h. Solistes: Leonidas Kavakos, violon, Lorraine Desmarais, piano. Direction: Kent Nagano.