Dans un siècle, cette Symphonie no 1, Concordia sera-t-elle exécutée pour le 475e ou le 500e anniversaire de Montréal, lorsque nous serons morts, enterrés, incinérés ou encore inscrits dans le profil génétique d'humanoïdes hybridés avec des machines ?

Que pensera-t-on alors de cette symphonie de Samy Moussa, conçue à l'origine comme une oeuvre immersive au petit matin de l'ère numérique, c'est-à-dire assortie d'une batterie de projections et d'éclairages dernier cri ?

Pour l'instant, il vaut peut-être mieux se limiter à ressentir, à se questionner plutôt que d'affirmer ou de juger de manière péremptoire les qualités intrinsèques de cette immersion audiovisuelle d'un autre type, créée hier à la Maison symphonique par l'OSM sous la direction du maestro Kent Nagano, dans le contexte des célébrations du 375e anniversaire de Montréal.

Le premier des quatre mouvements a débuté normalement, c'est-à-dire sans projection. Peu après le démarrage, une silhouette blanche est apparue au-dessus des instrumentistes. Les gestes de cette silhouette pouvaient évoquer la forme d'un chef d'orchestre, tout en générant des lignes droites, courbes ou lacets en phase avec l'écriture symphonique.

Des formes paramétriques se sont ensuite imposées, des couleurs ont émergé à profusion, des végétaux sont apparus, des objets de notre histoire ont été représentés. Le feu a jailli sur le grand écran et sur les écrans latéraux, des étoiles de synthèse ont scintillé pendant qu'un brouillard de glace sèche se répandait aux pieds des musiciens, eux-mêmes mis en relief par des éclairages bleutés.

Les scintillements se sont alors séparés de l'écran principal qui s'est déplacé vers le haut de l'amphithéâtre pour ensuite redescendre et illustrer une bourrasque de neige. Puis des spaghettis multicolores constellés de lumière ont envahi les surfaces, derrière lesquelles un humain s'est mis à bouger, danser, se dupliquer.

Ainsi fut l'accompagnement visuel de cette symphonie composée par Samy Moussa. Qu'en fut-il au juste ?

VISER L'ÉQUILIBRE

Hier soir, à la Maison symphonique, il était difficile de conclure à l'indépendance absolue de cette symphonie contemporaine par rapport aux concepts visuels de Moment Factory - sous la coordination de la réalisatrice Marie Belzil. L'image était-elle au service du son ? Le son dominait-il l'apport visuel ? Cherchait-on un équilibre des forces ? Cette musique était-elle totalement indépendante de l'image ? Son concepteur en avait-il retenu inconsciemment certains traits ?

Des écoutes supplémentaires nous l'apprendront. Pour l'instant, on pouvait observer que Samy Moussa avait réuni de judicieux procédés orchestraux, mis au point depuis les débuts de la modernité jusqu'à maintenant, y ajoutant bien sûr les ingrédients de sa propre sauce.

Après avoir écouté attentivement certaines de ses compositions, on peut aisément conclure à la singularité de son écriture, à sa patte, à son « affaire », à son indiscutable talent. L'oeuvre encore jeune de Samy Moussa, on pense notamment à Crimson pour grand orchestre ou A Globe Itself Infolding for Organ and Orchestra, nous apprend qu'il n'est certes pas un assembleur d'effets orchestraux sans vision, sans angle d'attaque.

À savoir si sa symphonie montréalaise passera l'épreuve du temps, il faut... laisser du temps au temps.

« La commande, rappelle le programme officiel de l'OSM, était au départ celle d'une oeuvre musicale, [...] un hymne orchestral à la gloire de Montréal. L'objectif a été d'exploiter, de magnifier et d'illustrer l'oeuvre au moyen de lumières, de projections et d'effets spéciaux. Le résultat est une expérience multisensorielle et immersive, à la fois contenue dans l'architecture de la Maison symphonique et dépassant les limites imaginées de la salle de concert traditionnelle. »

L'équilibre entre la profondeur de la musique et celle de l'approche multimédia était visé. Vous comprendrez que Moment Factory n'a pas tenté de transformer la Maison symphonique en planétarium ! On a plutôt cherché un juste équilibre entre les propositions sonores et visuelles. On a ainsi tenté de relever ce défi : « ... rendre hommage à un lieu, Montréal, sans succomber à la banalité ni à la tentation d'un récit historique. Montréal, dans cette oeuvre, est vu comme une abstraction, ou encore un assemblage de ses éléments constitutifs : la terre, le feu, l'eau et l'air. »

DVOŘÁK AU PROGRAMME

Pour le dernier programme de cette saison de l'OSM, le maestro Nagano avait prévu en première partie une évocation du nouveau continent sur lequel Montréal a poussé, soit avec l'exécution de la Symphonie no 9 Du Nouveau Monde, la dernière d'Antonín Dvořák. Rappelons que l'oeuvre avait été composée pendant la résidence américaine du compositeur, à la fin du XIXe siècle.

L'usage de mélodies simples, qui meublent plusieurs séquences des quatre mouvements de cette oeuvre, ne puisait pas dans les folklores autochtones, mais avait pour objet d'en reproduire l'esprit en greffant ces airs parfois candides dans des processus orchestraux éminemment complexes, en phase avec l'époque de la conception de cette symphonie. « J'ai simplement écrit des thèmes originaux englobant les particularités de cette musique et, utilisant ces thèmes comme sujets, je les ai développés avec les moyens des rythmes modernes, contrepoints et couleurs orchestrales », avait d'ailleurs indiqué le compositeur à un journal new-yorkais.

Néanmoins, il s'agissait d'une vision européenne, très occidentale, de l'Amérique. Hier, d'ailleurs, le maestro Nagano et l'OSM nous ont fait ressentir cette tension entre la candeur mélodique et la signature orchestrale. L'approche élégante et réfléchie de la direction d'orchestre, que d'aucuns déplorent parce qu'ils associent cette esthétique à une certaine ténuité, et que d'autres approuvent parce qu'elle correspond fidèlement à la profondeur intellectuelle et à la sensibilité du chef, était palpable même pendant les mouvements les plus flamboyants de cette symphonie.

Orchestre symphonique de Montréal. Chef d'orchestre : Kent Nagano. Création multimédia : Moment Factory. Reprise ce soir et demain à la Maison symphonique, à 20 h.

Symphonie du Nouveau Monde, en mi mineur, B. 178 (1893), Antonín Dvořák

Symphonie no 1, Concordia, Samy Moussa, création mondiale pour souligner le 375e anniversaire de Montréal en collaboration avec Moment Factory (direction Marie Belzil) - commande de l'OSM.

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La Symphonie sera diffusée en primeur à la télévision sur ICI ARTV le jeudi 8 juin, à 21 h, et en rappel le vendredi 9 juin, à 20 h, et le dimanche 11 juin, à 18 h.