Si elle se trouvait dans une île déserte avec une seule oeuvre musicale, Alexandra Scheibler choisirait la Passion selon saint Matthieu (BWV 244) de Jean-Sébastien Bach, créée à Leipzig, en 1727.

«Sans contredit, affirme la directrice artistique du festival Bach, c'est l'une des plus importantes du compositeur: elle l'est pour les multiples niveaux de son texte, pour sa dimension opératique, pour la séparation des instrumentistes en deux orchestres et deux choeurs distincts.»

Rencontré cette semaine à la pause d'une répétition de l'OSM, le chef Kent Nagano «comprend» et se montre «tout à fait d'accord» lorsqu'on lui soumet l'observation de Mme Scheibler. 

«Qu'on soit croyant ou non le texte de cette oeuvre inspirée de l'Évangile représente pour moi une distillation de l'essence de l'humanité et de ses faiblesses. Nous y voyons ce que nous sommes depuis la nuit des temps. C'est un miroir», affirme Kent Nagano.

Grand admirateur de JSB, le maestro de l'OSM dit avoir passé presque toute sa vie de musicien à revisiter cet oratorio colossal. « Ma relation avec la Passion selon saint Matthieu n'a cessé d'évoluer depuis l'enfance! Je l'ai entendue à l'église, je l'ai jouée en tant qu'altiste avant de la diriger. J'en ai découvert de nouvelles significations au fil des expériences vécues avec les êtres humains.»

La configuration de cette oeuvre créée en 1727 tient du génie de Bach, stipule Kent Nagano: «Prévoyant deux orchestres et choeurs physiquement séparés (sans compter un choeur d'enfants qui se présente à l'occasion), son architecture a pour objet d'en clarifier la trame dramatique. Par exemple, le rôle des choeurs peut consister à émettre une réflexion unifiée sur l'idée de rédemption ou encore l'identification à Jésus Christ. D'autre part, les choeurs peuvent devenir antagonistes, c'est-à-dire se disputer ou exprimer la colère d'une foule, épisodes pendant lesquels les [sept] solistes émergent du chant choral soutenu par les orchestres.»

Un regard évolutif

Le maestro et directeur artistique de l'OSM souligne d'ailleurs qu'il dirige la Passion selon saint Matthieu environ une fois par année. «Je le fais souvent en Allemagne avec des choeurs et des ensembles qui en ont intégré chaque détail, qu'il s'agisse d'orchestres symphoniques ou de formations spécialisées. Même si j'ai étudié l'allemand à l'école, vivre cette culture de Bach avec des collègues de là-bas est une immersion qui a changé ma perspective de l'oeuvre. Et qui continue de la changer.»

Kent Nagano est loin d'être le seul à vivre ce changement continu, nous indique-t-il : « Encore aujourd'hui, la recherche sur cette musique et son interprétation se poursuit. Il y a deux ans, par exemple, on s'est mis à regarder de nouveau les textes et partitions, comme on l'avait fait en profondeur dans les années 70. »

Pour le maestro de l'OSM, il est donc impératif d'en respecter le style qui a été développé au cours des trois dernières décennies. «Depuis les années 70, explique-t-il, l'interprétation de Bach a radicalement changé, notamment en en explorant le jeu avec les instruments d'époque ou les répliques de ces instruments. On y a gagné beaucoup en clarté.»

Écrire «la perfection»

Rappelons en outre que la Passion selon saint Matthieu a été exécutée par l'OSM en 2009, dans le cadre de ce même festival Bach qui célèbre cette année son dixième anniversaire et dont Kent Nagano est un allié indéfectible. «J'admire beaucoup Mme Scheibler et ce qu'elle a accompli avec son festival, telle une pionnière. Nous nous sommes connus à mon arrivée à Montréal, nous étions parmi les rares à jouer Bach à Montréal alors qu'aujourd'hui, il y a tout un mouvement autour du compositeur.»

Admiration sans bornes, force est de constater: pour Kent Nagano, Jean-Sébastien Bach a carrément «écrit la perfection». «Il est le seul qui a cette combinaison de technique parfaite, cette habileté parfaite à lier les notes et les mots, ce contrepoint sans fautes, ces chorals homophoniques absolument parfaits. Sa musique est LA référence pour tout ce qui s'est composé ensuite. Bach est très spécial!»

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À la Maison symphonique, ce soir et dimanche, dans le cadre du festival Bach.