Quarantième album en 40 ans de carrière, 20 ans de son orchestre à cordes avec piano La Pietà, 50 ans de violon pour l'interprète de 54 ans, 30 ans de mariage avec Mario Labbé, propriétaire de la maison de disques Analekta, qui a contribué au rayonnement de sa carrière sur le difficile territoire classique. Voilà autant de chiffres ronds pour la sortie de l'album Silence on joue - Prise 2, consacré à 27 musiques de films.

De plus, la violoniste Angèle Dubeau est la championne de l'écoute en continu: consacré au compositeur italien Ludovico Einaudi, son album précédent totalise à ce jour 12 millions de clics sur les plateformes de l'univers numérique. Qu'en sera-t-il de celui-ci? «La barre est haute», convient la musicienne, qui en a aussi long à dire sur les revenus faméliques que procure l'écoute en continu.

«Personnellement, je n'ai aucune crainte à l'idée de traverser cette période difficile, mais je m'inquiète pour les jeunes musiciens talentueux dans la vingtaine. Si j'avais leur âge, je me poserais bien des questions sur mon avenir», résume-t-elle avant de passer aux bonnes nouvelles, évidemment son nouvel opus.

La demande s'était fait sentir clairement, souligne la violoniste d'entrée de jeu. 

«Depuis la sortie du premier Silence on joue, en janvier 2012, il ne s'est pas passé un mois sans que quelqu'un m'en parle et me demande s'il y aura une suite. On m'a même fait parvenir des suggestions!»

Angèle Dubeau tient à ajouter qu'elle ne manquait pas de projets singuliers pour son quarantième album, mais qu'un cadeau à ses fans s'imposait.

«Si je suis encore là à jouer du violon et parcourir le monde, c'est bien à cause de mon public. C'est l'occasion de le remercier. Et, tant qu'à dire merci, on va en dire un gros, c'est-à-dire offrir un album double au prix d'un simple (ou presque). Pour ce, j'ai négocié avec M. Labbé... et je n'ai pas mis beaucoup de temps à obtenir son accord!»

Bien au-delà de la générosité, elle affirme sincèrement avoir eu un énorme plaisir à enregistrer ces 27 extraits de bandes originales.

«Ce sont de belles musiques! Certaines m'ont accrochée il y a longtemps, d'autres ont été découvertes récemment. Chose sûre, je n'ai choisi que des musiques et non pas les films qui y sont associés. D'ailleurs, je n'avais pas vu plusieurs films dont les musiques ont été sélectionnées. Je pense entre autres à Légendes d'automne avec Brad Pitt; les filles de La Pietà s'en étonnaient [rires]!»

Pour que cette Prise 2 soit une réussite, indique-t-elle en outre, il lui fallait trouver à la fois des musiques consensuelles et très réussies sur le plan compositionnel.

«Puisque le violon est pour moi un prolongement de la voix chantée, j'ai cherché les champions mélodistes, ceux-là qui ne se contentent pas de trouver des airs accrocheurs.»

Cet album double a été l'occasion de diviser son contenu en deux volets distincts, et donc deux disques distincts pour le support physique: sucré et salé.

«C'était un peu une blague au départ et finalement non, c'était bien tangible. Le sucré renvoie aux mélodies plus lentes, musiques plus intérieures, qui amènent l'auditeur dans la douceur sans manquer de consistance pour autant. Le salé est plus virtuose, plus contrasté, plus punché, aussi plus épicé.»

Ainsi, les interprètes féminines (sauf exception) ont joué des airs sucrés tels I Had a Farm de John Barry (Out of Africa), Les moulins de mon coeur de Michel Legrand (The Thomas Crown Affair), Mon amie Max de François Dompierre (Mon amie Max), Across the Stars de John Williams (Star Wars - Attack of the Clones). Dans le registre salé, ils ont interprété entre autres Tubular Bells de Mike Oldfield (The Exorcist), À la folie de Michael Nyman (À la folie), Smooth Criminal de Michael Jackson (Moonwalker). Et ainsi de suite...

Des collaborateurs d'ici

Les orchestrations et arrangements ont été réalisés par des collègues québécois d'Angèle Dubeau, qui a un bon mot pour chacun.

«Avec moi, François Vallières collabore depuis près de cinq ans. Il est très cérébral et je dois le ramener parfois... plus simple ! En tout cas, cet excellent orchestrateur est très fort dans les charpentes, d'autant plus qu'il connaît très bien La Pietà - son épouse, Amélie Lamontagne, est l'une de nos violonistes. Lorsque l'un de mes altistes a dû se désister, j'ai pensé à lui, car il est aussi altiste. Puisqu'il a vécu l'ensemble de l'intérieur, j'ai hâte d'entendre les prochains arrangements qu'il nous concoctera.

«Gilles Ouellet est un ami de longue date, un musicien que je respecte énormément et avec qui j'aime beaucoup travailler. Il peut faire les choses proprement et il peut aussi apporter sa signature. Il est champion pour maximiser les forces en présence, faire sonner un orchestre sans dénaturer l'oeuvre.

«Quant à mon ami François Dompierre, il a écrit tellement de musiques de films, il m'a écrit un concerto et j'ai beaucoup joué sa musique. Mais... je n'avais jamais fait celle de Mon amie Max, il me l'a réorchestrée sur mesure. Enfin, le violoniste Helmut Lipsky était tout désigné pour arranger Nino Rota, avec l'humour qui lui est caractéristique, et c'est devenu La dolce vita de La Pietà.»

La méthodologie d'Angèle Dubeau a été rigoureuse, assure-t-elle: «J'ai choisi les extraits, fait un découpage préliminaire pour les instruments (violons, altos, violoncelles, contrebasse, piano, harpes) et envoyé la commande aux arrangeurs. Il y a eu quelques échanges avant la première lecture avec l'orchestre, puis quelques ajustements, une préparation finale et finalement le studio. Ainsi, nous avons enregistré 27 pièces en quatre jours. Miss Proprette prépare bien les choses!»

CLASSIQUE. Silence on joue - Prise 2. Angèle Dubeau & La Pietà. Analekta.

Image fournie par Analekta

Silence on joue - Prise 2, d'Angèle Dubeau & La Pietà