Comme chaque été, la crème de la scène musicale internationale a rendez-vous ce mois-ci sur les bords de la rivière Salzach, au coeur des Alpes autrichiennes. La soprano canadienne Layla Claire y fait ses débuts en Donna Elvira dans le Don Giovanni de Mozart, et le ténor Frédéric Antoun y revient pour incarner Raúl Yerebes dans la première mondiale de The Exterminating Angel, un opéra commandé par le Festival de Salzbourg au compositeur britannique Thomas Adès, basé sur le film surréaliste éponyme de Luis Buñuel.

Pour les musiciens et les mélomanes, Salzbourg n'est pas seulement le cadre enchanteur du film The Sound of Music: c'est surtout un endroit mythique, la Mecque, la destination et l'origine. Ville natale de Mozart et siège du festival annuel qui rassemble, près de six semaines durant, le gotha artistique d'Europe centrale et d'ailleurs. Des visiteurs enthousiastes y accourent des quatre coins du monde pour un bain de culture sans pareil : opéra, concerts symphoniques, musique de chambre, récital, théâtre...

On y célèbre certes l'enfant prodige de la ville avec un faste exceptionnel, mais on définit aussi un canon d'interprétation pour ses oeuvres tout en les confrontant, dans le meilleur des cas, à la création contemporaine. La tradition est omniprésente, impossible à ignorer. 

À une extrémité du spectre esthétique, Layla Claire campe donc Elvire, amante éconduite et néanmoins fanatique de Don Juan, femme blessée et vulnérable, en apparence solide comme le roc, mais torturée par son amour pour le séducteur invétéré, prête à le défendre jusqu'à la mort (celle du Don, pas la sienne), implorant le pardon et «l'humanité» pour celui qu'elle sait coupable de meurtre dans l'un des moments de théâtre musical mozartien les plus poignants. 

Le personnage est beau et ingrat à la fois, tant elle est prisonnière de sa monomanie et n'évolue en rien au long de l'opéra.

Dans la fosse, le Philharmonique de Vienne dresse un écrin d'une inouïe richesse, sans pour autant s'écarter d'une certaine routine. Passons : le luxe est ailleurs, dans les voix, notamment celles de Luca Pisaroni (Leporello) et d'Ildebrando d'Arcangelo (Don Giovanni).

Opéra atypique

À l'autre extrémité, Frédéric Antoun incarne le dandy Raúl Yebenes dans la comédie macabre inspirée à Adès par l'oeuvre fétiche du grand cinéaste espagnol. C'est un sujet en or pour un opéra : intrigue distordue, inexistante ou multiple pour 15 personnages, tous issus de la bonne bourgeoisie franquiste, réunis pour une fête dans une maison qu'ils ne parviennent plus à quitter pendant que s'impatiente à l'extérieur la plèbe ouvrière. La matière brute est prometteuse, le résultat final, moins convaincant qu'espéré, tirant plus vers la réflexion rhétorique sur la mécanique de l'opéra en tant que genre que sur le pur commentaire politique. 

On évoque souvent le succès des chanteurs canadiens en Europe, et ici encore, l'exemple fait école. Si Claire peine, le soir de la première, à trouver ses marques dans un spectacle trop traditionnel pensé pour une distribution différente, elle confirme son statut de mozartienne aguerrie tant par la voix que par le style, impeccablement soutenue par le chef Alain Altinoglu. Son interprétation gagnera en assurance au fil des représentations. Le public de l'Opéra de Montréal la retrouvera dans ce même rôle en novembre prochain.

Antoun, quant à lui, tire le maximum d'un personnage atypique dans un scénario qui l'est tout autant. Vocalement, l'émission est toujours claire, jamais forcée, le registre aigu est libre et le texte anglais remarquablement intelligible. Le spectacle signé Tom Cairns (lequel est aussi, avec le compositeur, l'auteur du livret) sera repris à Covent Garden le printemps prochain, puis au Metropolitan de New York et à Copenhague.