Les plus grands interprètes sont souvent ceux qui savent s'effacer derrière la musique. Murray Perahia, lui, est au service d'un seul maître: le piano, qu'il sert comme nul autre. En récital à la Maison symphonique, hier soir, il a su nous montrer qu'il n'a rien perdu, à près de 70 ans, de ce qui en fait encore aujourd'hui l'un des pianistes les plus respectés.

Le programme commençait par le classicisme viennois avec Haydn et Mozart pour se terminer avec la redoutable Sonate n29 « Hammerklavier » de Beethoven, après un intermède romantique avec Brahms pour clore la première partie.

Aux Variations pour piano en fa mineur de Haydn, le pianiste injecte énormément de relief et de texture avec l'imagination et le bon goût qu'il cultive comme une seconde nature. Chez Haydn comme chez Mozart - ici dans la Sonate n8 en la mineur -, on constate une fois de plus qu'il maîtrise l'art du juste milieu entre le respect du style et de la partition et l'apport judicieux d'idées personnelles, toujours magnifiées par la richesse d'une impressionnante palette de nuances. On reconnaît Perahia l'équilibré, l'éloquent, l'impérial. La poésie tumultueuse de Brahms, dans une succession de courtes pièces, nous donne un avant-goût de la folie qui viendra après l'entracte.

Une nouvelle jeunesse

La fameuse Hammerklavier de Beethoven peut sembler longue et lourde à l'auditeur lorsqu'elle est abordée de façon trop intellectuelle. Murray Perahia joue plutôt la carte de la flamboyance imaginative et ce sont 45 minutes qui passent en un éclair où le pianiste semble avoir trouvé une nouvelle fougue et une nouvelle jeunesse, traversées d'un grand souffle romantique et d'un zeste de folie qui nous étonne venant de lui. 

On dirait qu'il s'est donné le droit d'être libre et de s'amuser comme s'il avait 20 ans, alors qu'il faut l'expérience de toute une vie pour accomplir un pareil tour de force.

Quelle que soit l'oeuvre, ce qui frappe avant tout, c'est que Perahia donne l'impression de toujours répondre à une question: comment interpréter une oeuvre en exploitant au maximum toutes les qualités et les couleurs du piano? Ainsi, quand il joue, avant d'entendre Mozart, Brahms ou Beethoven, avons-nous l'impression d'entendre, plus que tout, une aventure instrumentale. Ce n'est ni une qualité ni un défaut. Simple observation d'une façon d'être, tentative de décrire l'approche d'un grand interprète qui aura laissé une marque indiscutable dans l'histoire de son instrument, pour notre plus grand bonheur.