Le chef d'orchestre autrichien Nikolaus Harnoncourt, décédé samedi à 86 ans, a été l'un des pionniers de l'interprétation « authentique » ou « historique » de la musique classique, mais a toujours détesté être catalogué.

« Le terme ''authenticité'' est dangereux. La musique de musée ne m'intéresse pas et je n'ai aucune intention d'organiser des visites guidées de l'oeuvre de Bach », avait-il affirmé lors d'un entretien. « Ce à quoi j'aspire », précisait-il, « ce n'est pas recréer authentiquement le son de l'ancien, mais le transposer ici et maintenant ».

Le comte Nikolaus de la Fontaine und d'Harnoncourt-Unverzagt est né à Berlin le 6 décembre 1929. Sa mère est issue de la dynastie des Habsbourg. Son père descend d'un Lorrain passé au service de cette même famille qui a longtemps régné sur l'Europe centrale.

Amoureux précoce de tous les arts, il quitte tôt Graz, la ville du sud de l'Autriche où il a grandi, pour étudier le violoncelle dans la capitale. En 1952, Harnoncourt est embauché au sein de l'Orchestre Symphonique de Vienne, mais est aussitôt hérissé par l'autoritarisme des chefs d'orchestre.

« Je leur demandais le pourquoi de leurs instructions. Je n'ai jamais eu d'autre réponse que ''Parce que je le dis'' », raconte-t-il: « Même les meilleurs musiciens devaient se contenter de jouer. Ils faisaient tous partie d'un instrument appelé orchestre, dont jouait le chef d'orchestre. »

Ses recherches intensives sur les instruments d'époque et la pratique musicale ancienne le conduisent dès 1953 à créer son propre ensemble, Concentus Musicus, qui donne ses premiers concerts en 1957.

L'orchestre est géré par les musiciens eux-mêmes, aidés de leurs conjoints. Il se spécialise dans la musique de la Renaissance, le baroque et le début de l'ère du classique.

« Une relation incroyablement profonde s'est nouée entre nous sur la scène et vous dans la salle - nous sommes devenus une joyeuse communauté de pionniers! », s'émouvait encore le maestro le 5 décembre 2015, le week-end de ses 86 ans, dans une lettre ouverte au public du Concentus Musicus.

Il avait annoncé à cette occasion mettre fin à sa carrière en raison de problèmes de santé.

De nombreux convertis

Les remises en cause permanentes de Nikolaus Harnoncourt dérangent la Vienne des musiciens établis. Il finit en 1969 par quitter complètement le Symphonique de Vienne, décision risquée pour ce père de quatre enfants mais qui a été, selon lui, l'une des plus judicieuses de sa vie.

Car au fil des ans, ses idées séduisent de plus en plus, et de nos jours, même les plus grands orchestres mondiaux jouant d'instruments modernes utilisent des éléments-clés de l'interprétation d'époque, comme les articulations, les tempos, les phrasés ou l'absence de vibrato.

Harnoncourt fait ses débuts à l'opéra en dirigeant en 1971 à Vienne Le Retour d'Ulysse dans sa Patrie du prébaroque Monteverdi. Il poursuivra, avec le metteur en scène français Jean-Pierre Ponnelle, par un cycle Monteverdi devenu légendaire à l'opéra de Zurich, avant un cycle tout aussi révolutionnaire des opéras de Mozart dans la même salle.

En 1971, il se lance aussi dans le proket ambitieux d'enregistrer, avec son confrère Gustav Leonhardt, de l'intégrale des cantates de Bach, une oeuvre achevée en 1990.

Harnoncourt le rebelle ne se cantonnera jamais à un style, enregistrant le répertoire dans toute sa variété, jusqu'aux romantiques et à la musique du XXe siècle.

Ses interprétations de Dvorak et même de Bartok, notamment, ont été saluées, et en 2009, il s'attelle au Porgy and Bess de Gershwin à l'occasion du festival Styriarte de Graz, un évènement musical annuel qu'il a créé.

C'était aussi un homme « plein d'humour », a témoigné le ministre autrichien de la Culture, Josef Ostermayer, saluant celui qui a « de manière géniale transporté le passé dans le présent ».

« Nous reste la consolation de savoir qu'il peut maintenant poser à son cher Mozart et son cher Bach ces questions auxquelles il n'avait pu répondre », a réagi Mathias Huber, administrateur du festival Styriarte.

Nikolaus Harnoncourt a reçu en 2014, à l'âge de 84 ans, un prix Echo Klassik - principale distinction de la musique classique en Allemagne - récompensant l'ensemble de son oeuvre.