Jayson Gillham, pianiste australien de 29 ans, avait remporté le 1er prix au Concours international de Montréal l'an dernier en réalisant une sorte d'exploit: non pas en traversant avec la plus haute maestria l'un des spectaculaires concertos de Tchaïkovsky, Prokofiev ou Rachmaninov, mais, bien au contraire, en s'identifiant miraculeusement au plus abstrait des cinq concertos de Beethoven, le quatrième.

En fait, et contrairement aux jurys de concours trop souvent friands de cabotinage, celui de Montréal 2014 méritait, pour avoir été sensible au talent raffiné de Jayson Gillham, autant de félicitations que celui-ci en méritait pour son interprétation.

Que s'est-il donc passé en un an et demi? Avions-nous été, alors, victimes de quelque mirage? Le pianiste était-il, cette fois-ci, gravement indisposé? Aucune réponse à cela, sauf ce qu'on a entendu pendant près de deux longues heures.

Le pianiste a pourtant quelques idées de programmateur: il commence par l'une des petites suites de Handel, celle qui contient les fameuses variations sur l'air anonyme The Harmonious Blacksmith - même celui qui vous parle se rappelle avoir pianoté cela dans son enfance! -, et enchaîne avec les 25 variations, plus fugue, que Brahms a construites sur un extrait d'une autre petite suite du même Handel.

L'après-entracte trouve le pianiste attardé au romantisme allemand. Passant de Brahms à son contemporain Schumann, il donne de celui-ci le kaléidoscopique Kreisleriana. Schumann le dédia à son ami Chopin et, de Chopin, le pianiste choisit la troisième Ballade comme fin de récital.

Un programme beau et intéressant, oui. Qu'en est-il resté? À peu près rien. L'articulation exacte et nerveuse dans le Handel évoque le clavecin auquel ces petites choses furent destinées. Dommage que la musique elle-même offre si peu d'intérêt.

Vient ensuite le Brahms aux 25 variations. On n'a jamais été aussi conscient qu'il y en avait 25! En verra-t-on jamais la fin? On y écoute un élève appliqué, sans personnalité, égrenant un son qui ne parle pas, accrochant plusieurs notes au passage, enfonçant constamment la pédale forte, oubliant qu'il joue dans une salle de moyennes dimensions, et, pis encore, n'apportant aucun relief, aucun contraste, aucune couleur, aucune imagination à ce qui, entre des mains vraiment inspirées, se transforme en véritable monument pianistique.

Le public du LMMC - jusqu'à preuve du contraire le plus connaisseur de Montréal - applaudit poliment, sans plus, ce Brahms fort quelconque. C'est le public qu'il faudrait applaudir ici pour son discernement! Les huit «états d'âme» de Kreisleriana connaîtront le même triste sort. Lorsque Schumann écrit «sehr rasch», il demande un jeu extrêmement rapide, presque précipité. Notre pianiste suit la prescription, d'accord, mais au prix d'un lamentable fouillis. Pis encore, il passe complètement à côté de tout ce que Schumann a mis là de délire et de tendresse.

Une petite lueur éclaire le début de la troisième Ballade de Chopin. On dirait que cela va chanter. Mais non, cela ne chante pas du tout. Le dernier accord accompagne la fuite vers les portes de la moitié de la salle. À ceux qui applaudissent avec une certaine vigueur, le pianiste annonce un rappel, quelque Scriabine mal identifié. Le titre n'a aucune espèce d'importance, comme d'ailleurs tout ce qui précédait.

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JAYSON GILLHAM, pianiste. Dimanche après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation: Ladies' Morning Musical Club.         

Programme:

Suite no 5, en mi majeur, HWV 430 (c. 1710) - Handel

Variations et Fugue sur un thème de Handel, op. 24 (1861) - Brahms

Kreisleriana, op. 16 (1838) - Schumann

Ballade no 3, en la bémol majeur, op. 47 (1841) - Chopin