Le parcours de la pianiste Zhu Xiao-Mei est si fascinant qu'on peut en oublier la finalité: la quête difficile d'un jeu épuré et contemplatif.

Enfant prodige de l'interprétation classique à l'occidentale, elle dut renoncer à sa passion au milieu des années 60: Zhu Xiao-Mei fut envoyée dans des camps de rééducation pendant la grande révolution culturelle prolétarienne, période très sombre de la Chine où tout raffinement intellectuel ou artistique fut sévèrement réprimé par le régime communiste. Publié en 2007, le livre La rivière et son secret, des camps de Mao à Jean-Sébastien Bach (Éditions Robert Laffont) fait largement état de sa destinée extraordinaire.

Aujourd'hui, Zhu Xiao-Mei s'en tient à de brèves évocations lorsqu'on aborde le sujet.

«J'ai passé cinq ans dans les camps de rééducation, dont deux années à ne pas jouer du tout de piano. Pas de musique, pas de livres, sauf le petit livre rouge de Mao. Au bout de deux ans, j'ai pu obtenir un piano... J'en jouais le soir après le travail. Les soldats étaient gentils avec moi, croyant que j'interprétais des airs révolutionnaires. Puis j'ai mis cinq autres années avant de pouvoir jouer professionnellement. Ce fut misérable, horrible, mais j'y ai appris beaucoup de choses», résume cette femme exceptionnellement résiliente.

Après une décennie gâchée par les dérives politiques de son pays natal, la pianiste a pu se consacrer à son art avant d'émigrer aux États-Unis, puis en France, où elle vit depuis 1986. Jusqu'en 2014, elle enseigna au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, en plus de se tailler une réputation d'interprète de calibre international.

«Les gens me parlent tant de mon histoire et... beaucoup moins de ma profession d'interprète. J'en suis complexée», confie la sexagénaire, craignant le sensationnalisme médiatique à son sujet.

Très humble malgré la notoriété acquise, Zhu Xiao-Mei préfère plutôt souligner ses aspirations pianistiques: être «simple, naturelle et touchante».

«Je vois chez des jeunes pianistes beaucoup de maniérisme, je ne le supporte pas. J'ai vécu des choses difficiles qui m'ont peut-être menée à cette approche. La simplicité, ça ne veut pas dire jouer sèchement ou de manière ennuyeuse. Il faut quelque chose d'humain. Enfin, c'est un idéal... Je ne sais pas si j'y parviens vraiment», confie-t-elle.

Simplicité et humanisme

Que veut dire «simple», dans le cas qui nous occupe?

«Trouver le meilleur tempo, le phrasé le plus naturel... Entre autres, il me faut éviter le rubato [qui consiste à avancer certaines notes d'une phrase mélodique ou à en retarder d'autres], éviter les accélérations et les ralentissements par rapport à ce qu'indique la partition du compositeur. Cela étant, il ne faut jamais compter le temps; l'interprète n'est pas une machine. En fait, il faut travailler très fort pour atteindre la simplicité. Un proverbe chinois nous dit: «Répétez quelque chose 100 fois et le sens finit par s'en dégager» », cite la sage dame, certes pas en rupture avec le taoïsme de Lao Tseu, qui l'a profondément marquée.

Et que signifie un jeu plus «humain» ?

«Il faut raconter une histoire au public. Il faut se connecter à l'émotion des gens qui vous écoutent. Plusieurs interprètes se sentent supérieurs au public. Je préfère être au service du compositeur et de l'auditoire. Si ce dernier n'arrive pas à me suivre, je suis très malheureuse.»

Bach

Zhu Xiao-Mei dit adorer interpréter Mozart, Haydn, Beethoven, Schumann ou Schubert, mais... Bach est son compositeur de prédilection.

«Ma maison de disques [Mirare] veut que j'enregistre l'intégrale des oeuvres de Bach pour le piano. Je ne suis pas certaine de me rendre au bout avant de mourir! [rires]»

Arme à double tranchant? La virtuose ne se formalise pas d'être tant associée à l'oeuvre de Bach. «Il est mon chef, mon Dieu, mon ami, même mon psychiatre! Chaque matin, je ne réponds pas au téléphone avant d'avoir joué Bach. Après, je peux faire des choses, vaquer à mes activités quotidiennes. J'en suis un peu droguée, je crois», dit la musicienne, avec une pointe d'autodérision.

Ce soir et jeudi à la salle de concert Bourgie, Zhu Xiao-Mei interprétera les Variations Goldberg (BWV988), composées à l'origine pour le clavecin. Cette oeuvre phare n'est d'ailleurs pas étrangère à la réputation de cette pianiste qui, l'an dernier, l'a même enregistrée à l'église luthérienne St.Thomas de Leipzig, là même où le génialissime JSB oeuvra de 1723 jusqu'à sa mort en 1750 - et où se trouve sa sépulture.

«Les Variations Goldberg ont quelque chose de miraculeux, soulève-t-elle. Tant d'humains ne sont pas férus de musique classique et s'en trouvent fascinés. Et... tant de pianistes ont peur de jouer les Variations Goldberg, trop pâles de prime abord. C'est qu'un interprète ne peut essayer de montrer ce qu'il peut faire de plus; il lui faut absolument mettre le compositeur devant l'interprète.»

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Salle de concert Bourgie, mardi et jeudi, à 19h30, dans le cadre du Festival Bach.