Le visage barbouillé de larmes et de rimmel, c'est une grande amoureuse qu'incarne la soprano canadienne Barbara Hannigan pour ses débuts à l'Opéra de Paris dans La voix humaine de Francis Poulenc (23 novembre au 12 décembre).

L'opéra éclair de Poulenc - 40 minutes de monologue d'une femme suspendue au fil du téléphone - a tout pour plaire à Barbara Hannigan, inlassable interprète des créations contemporaines les plus audacieuses.

Cet ovni de la scène lyrique internationale, née en 1971 en Nouvelle-Écosse, a mis sa virtuosité au service de plus de 80 créations, dont l'opéra de George Benjamin Written on Skin, événement du Festival d'Aix en 2012, qui a fait depuis le tour de l'Europe (Londres, Vienne, Munich...).

«À 17 ans, je chantais déjà une création. C'est venu tout seul: je chantais de front Mozart, Haendel et Bach comme Ligeti, Boulez et Stockhausen», raconte la soprano de 44 ans, longs cheveux blonds et visage lumineux.

«J'ai réalisé que j'avais un talent pour cette musique moderne, et j'adore ça, alors qu'elle attire peu les chanteurs lyriques. Alors c'était un peu «noblesse oblige»», lance-t-elle en français dans un éclat de rire.

Les partitions contemporaines les plus complexes prennent sens dans sa voix - ou sous sa baguette, car elle est aussi chef d'orchestre. Derrière la complexité des partitions, Barbara Hannigan sait voir «l'âme du compositeur, le théâtre, l'émotion». «Ligeti n'essayait pas d'écrire des choses compliquées, pas plus que Haydn, ils imprimaient chacun leur âme dans la musique», dit-elle.

Dans La voix humaine, Barbara Hannigan compose un rôle déchirant de femme abandonnée, suspendue à la voix de son amant au téléphone. Tant qu'elle l'entend, elle est encore vivante, s'il coupe, elle meurt. «C'est un rôle très intense, elle est comme possédée», dit-elle.

Sa voix épouse avec une aisance époustouflante la partition de Francis Poulenc, tandis que le corps se tord de douleur, rampant sur la moquette, s'enroulant autour du canapé, agité de spasmes lorsque la communication menace de s'interrompre.

Le corps est un instrument

Barbara Hannigan se sert autant de son corps que de sa voix, ce qui n'est pas si évident dans le monde lyrique, où les chanteurs sont souvent très statiques. «Pour moi, le corps est un instrument à part entière, je veux que mon corps fonctionne au même niveau que ma voix», explique-t-elle. «De toute façon, j'aime bouger, je ne suis jamais assise, j'ai horreur de rester immobile, c'est dans ma nature!»

On ne voit qu'elle dans l'opéra mis en scène par le Polonais Krzysztof Warlikowski, et l'irruption dans la dernière partie du monologue d'un homme énigmatique blessé à mort (l'amant?) semble superflue. La pièce de Jean Cocteau, reprise telle quelle dans le livret, met en scène un seul personnage, «Elle», et Barbara Hannigan est «Elle», jusqu'au dernier souffle.

L'opéra, trop court pour être donné seul, est ici couplé au Château de Barbe-Bleue de Béla Bartok (1918), composé près de 40 ans avant l'oeuvre de Poulenc (1959). Le pari de Krzysztof Warlikowski a été de relier les deux comme deux versants d'un amour possessif jusqu'au tragique.

C'est la troisième collaboration de Warlikowski, connu pour ses mises en scène radicales, avec la cantatrice canadienne, et ils se comprennent «avec un regard ou un haussement d'épaule» dit-elle.

Dans Lulu de Berg, il faisait d'elle une séductrice en sous-vêtements sexy ou robe transparente. «J'étais sur pointes, je n'avais jamais fait de pointes de ma vie», lance-t-elle, visiblement ravie de ce défi. «J'adore travailler avec lui. On ne s'embarrasse pas de tradition ou de convention, on ne cherche pas à plaire», dit-elle.