La publicité entourant ce triple concert OSM est axée sur une seule chose, le Tchaïkovsky de Yefim Bronfman, alors que le principal intérêt ici - et l'unique, en fait - est la première à l'OSM et dans cette ville de la 4e Symphonie de Charles Ives. Une présentation de l'oeuvre et de son auteur, mardi en chronique, me dispense de revenir sur les détails. Dans l'immédiat, il faut saluer l'initiative de Kent Nagano et la réussite qui l'a couronnée, y compris la réaction étonnamment enthousiaste du public nombreux.

Il fallait, un jour, monter à l'OSM cette monstrueuse machine qu'est la 4e et dernière Symphonie du fameux et controversé pionnier de la musique américaine. C'est chose faite. On a entendu l'oeuvre au disque (quelques personnes, en tout cas), la voici maintenant au concert.

On s'y rend avec curiosité, car le concert n'est pas le disque, on écoute, on regarde aussi car il y a là un spectacle, avec ces deux chefs côte à côte devant l'immense orchestre, ces quelques musiciens juchés dans les hauteurs, ces autres qui sortent des rangs pour quelques interventions. Mais on écoute, surtout, car il est question ici de musique, même si ce qu'on entend n'est pas précisément... familier. On écoute, donc. Et on ne s'ennuie jamais, car il se passe toujours quelque chose. Et puis, on range et on oublie. La 4e Symphonie de Charles Ives, on écoute cela une fois dans sa vie.

Car il ne reste finalement rien, ou presque rien, de cet entassement ininterrompu, désordonné, tapageur et parfois même comique d'éléments disparates et d'effets faciles et enfantins. Écho de l'époque où Ives vécut, les hymnes qu'on chantait dans les églises de la Nouvelle-Angleterre, et que le choeur discipliné et sensible d'Andrew Megill reprend ici brièvement, laissent une impression très touchante. Les voix émergeant timidement et presque symboliquement du cataclysme, à la toute fin, sont le plus beau souvenir que rapporte de cette expérience celui qui vous parle. Certaines trouvailles sont aussi à signaler. Ainsi, au tout début du finale, ces coups espacés de gong auxquels se greffe subrepticement le ronron des contrebasses.

Hélas! ces trouvailles sont de courte durée. Ives n'en fait rien. De l'ensemble, on retient d'abord la prodigieuse virtuosité des quelque 100 musiciens s'affairant là durant 35 minutes, exécutant parfois, et simultanément, des choses totalement différentes, sur des tempos différents et des métriques différentes. Exemple : Allegro en 4/4 en même temps qu'Adagio en 3/2. Avec la virtuosité, il faut mentionner la qualité du son chez toutes les sections. Bref, un triomphe, d'un certain point de vue.

Avant de monter au pupitre, et pendant 14 minutes, notre maestro a expliqué l'oeuvre dans ses mots et son légendaire bilinguisme. Il a salué la présence dans la salle du musicologue américain Thomas Brodhead, auteur de l'édition utilisée par l'OSM. M. Brodhead était accompagné du violoniste Malcolm Goldstein, américain lui aussi mais fixé à Montréal, qui joua la 4e Symphonie de Ives sous la direction de Stokowski en 1967, soit deux ans après que celui-ci eût dirigé la création tardive de l'oeuvre.

De Ives encore, ce mouvement de la Concord Sonata orchestré ne présentait aucun intérêt et ne faisait qu'allonger un concert auquel on avait ajouté un extrait du Requiem de Fauré dans le triste contexte que l'on sait.

Finalement, on ne se plaindra pas de réentendre pour la énième fois le 1er Concerto pour piano de Tchaïkovsky et pour la énième fois le pianiste Yefim Bronfman. Le concerto sans doute le plus populaire du répertoire tout entier est un solide chef-d'oeuvre, ce que n'est certainement pas le Ives, et un chef-d'oeuvre dont l'inépuisable richesse est confirmée par une interprétation renouvelée comme celle de Yefim Bronfman. Le pianiste martèle le clavier avec une force herculéenne. On se dit : il y aura trois concerts, il faudra un piano par soir! Mais Bronfman ne joue jamais dur. Son attaque reste toujours musicale, sa main gauche prend ici et là un caressant relief, et ce parfait mariage de vélocité et d'articulation cristalline allège miraculeusement une masse sonore quasi terrifiante face à l'orchestre qui l'entoure.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL et CHOEUR DE L'OSM. Chef d'orchestre : Kent Nagano. Chef assistante : Dina Gilbert. Soliste : Yefim Bronfman, pianiste. Hier soir, Maison symphonique, Place des Arts; reprise ce soir et demain soir, 20 h. Séries «Grands Concerts».

Programme :

Agnus Dei, pour choeur et orchestre, ext. du Requiem, op. 48 (1900) - Fauré

The Alcotts, 3e mouvement de la Sonate pour piano no 2 (Concord, Mass., 1840-1860) (1947) - Ives, orchestration : Henry Brant (1996)

Symphonie no 4 (1910-1916) - Ives

Concerto pour piano et orchestre no 1, en si bémol mineur, op. 23 (1875) - Tchaïkovsky