Après avoir joué un peu partout à Montréal depuis bientôt 25 ans, Jean-Guihen Queyras faisait enfin ses débuts à notre plus ancienne société musicale, le LMMC. Le violoncelliste français pourtant né au Québec et dissimulant ses 48 ans derrière son allure d'adolescent avait attiré une salle comble, malgré un programme assez curieux et... un froid qui ne nous quitte guère.

Il entame son programme timidement avec l'assez quelconque Adagio und Allegro de Schumann habituellement entendu au cor. L'intonation laisse un peu à désirer et la chose sert finalement de mise en place pour le reste.

L'invité poursuit avec sa propre transcription des Vier Stücke (c'est-à-dire Quatre Pièces) op. 5 de Berg destinées à la clarinette. Sur son magnifique Gioffredo Cappa de 1696, il crée effectivement une toute nouvelle couleur, pleinement violoncellistique, qui n'a rien à voir avec la clarinette... mais qui n'est pas non plus celle qu'imaginait Berg.

On n'a pas le temps d'épiloguer là-dessus puisque le violoncelliste passe immédiatement, attacca, à la troisième Sonate de Beethoven. Bien sûr, on se rend compte qu'on est tout à coup dans le tonal, mais pourquoi cette précipitation ? Le Beethoven reçoit une lecture parfaitement équilibrée sur le plan musicologique, c'est-à-dire où le piano a autant de place que le violoncelle, mais une lecture plutôt routinière, si l'on excepte, aux deux reprises, quelques éléments d'ornementation hérités du baroque.

La seconde moitié du programme reprend la formule du début. Queyras flirte encore avec la Nouvelle École de Vienne, mais, cette fois, c'est Webern au lieu de Berg, et, de Webern, les trois minuscules Pièces op. 11, jouées avec la plus sèche exactitude et enchaînées sans la moindre pause à la Sonate de Rachmaninov.

On n'associe pas cette musique à Queyras, musicien plus retenu que passionné, et, effectivement, ce Rachmaninov s'annonce assez terne. Pourtant, chose rare, lui et son pianiste varient légèrement la reprise au premier mouvement. Au scherzo diabolique, le piano éclipse le violoncelle, lequel reprendra tous ses droits au mouvement lent. Ce sera le plus beau moment du récital, Queyras attaquant le son sous un angle nouveau, comme de l'intérieur. Un miracle qui ne durera que quelques minutes car le finale de cette trop longue sonate nous replonge dans le quotidien.

Un autre beau moment aussi, celui-là une surprise : le premier mouvement de la Sonate de Debussy, très fin, très réfléchi, annoncé en rappel.

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JEAN-GUIHEN QUEYRAS, violoncelliste, et FRÉDÉRIC LAGARDE, pianiste. Hier après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation : Ladies' Morning Musical Club.

Programme :

Adagio und Allegro en la bémol majeur, op. 70 (1849) - Schumann

Vier Stücke, op. 5 (1913)-Berg, trans. Queyras

Sonate no 3, en la majeur, op. 69 (1808) - Beethoven

Drei kleine Stücke, op. 11 (1914) - Webern

Sonate en sol mineur, op. 19 (1901) - Rachmaninov