On est accueilli à la Maison symphonique par des soldats en uniformes napoléoniens et d'élégantes dames en costumes d'époque. En l'espace de cinq minutes, on voit entrer Lucien Bouchard, Francine Grimaldi, André Gagnon, Edgar Fruitier, Joseph Rouleau, Louise Forand, Nicole Lorange.

Ce soir, on donne L'Aiglon, l'«opéra à deux têtes et quatre mains» de Honegger et Ibert d'après le drame d'Edmond Rostand immortalisé par Sarah Bernhardt. Précision: opéra en «version concert et mise en espace», c'est-à-dire: chanteurs devant lutrins, entrées et sorties, projections de toutes sortes sur une immense toile noire suspendue derrière l'orchestre.

Avant le concert, une voix annonce que celui-ci est enregistré pour un disque à paraître sous la marque Decca. Le concert est donné trois fois et on enregistre les trois soirs. On réalisera ensuite un montage des trois prises.

Fallait-il sortir de l'oubli cet opéra qu'on ne joue plus et dont il n'existe qu'un enregistrement, datant de 1956? Au départ, faut-il absolument voir et entendre L'Aiglon? On ne posera pas la question à tous ceux qui ont fui à l'entracte, pour nous laisser, nous, les entêtés, au milieu d'une corbeille à moitié vide.

Kent Nagano a certainement eu une bonne idée en montant L'Aiglon. L'oeuvre a connu autrefois un certain succès et elle constitue un cas unique dans tout le répertoire, soit le produit conjoint de deux compositeurs, chacun ayant contribué sa part des cinq actes totalisant une heure et demie.

Le problème, c'est que la bonne idée n'est réalisée qu'à moitié. Déjà, il est difficile de s'apitoyer aujourd'hui sur le sort du fils de Napoléon Bonaparte mort à 21 ans loin de son pays, difficile aussi de s'intéresser à la dizaine de personnages qui s'agitent autour de lui. Encore si le texte était parfaitement intelligible, on prendrait à la chose un certain intérêt. Ni chanté, ni parlé, mais livré en parlando, ce texte est incompréhensible la moitié du temps, comme résultant d'une mauvaise articulation ou d'une mauvaise sonorisation... ou d'un peu des deux. Au surplus, les surtitres n'aident pas: ils sont beaucoup trop petits, placés beaucoup trop haut au-dessus de la scène et obstrués en partie par des spots.

Les meilleurs moments de cette longue audition viennent de l'OSM, puissant et éclatant, avec des épisodes d'une incroyable douceur. Toutes les voix sont bonnes, avec, se démarquant de l'ensemble, les deux interprètes importés d'Europe pour l'occasion. Dans le rôle-titre, la soprano belge Anne-Catherine Gillet, en costume blanc de garçon, tire le maximum d'une petite voix d'oiseau blessé et le baryton français Marc Barrard apporte voix et attitude chaleureuses au personnage de Flambeau, le fidèle ami de l'Aiglon. Les autres lisent leur texte avec application.

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L'AIGLON, opéra en cinq actes, livret de Henri Cain d'après le drame historique L'Aiglon, d'Edmond Rostand, musique de Arthur Honegger et Jacques Ibert (1937).

Orchestre Symphonique de Montréal, Choeur de l'OSM et Petits  Chanteurs du Mont-Royal, Anne-Catherine Gillet, Marc Barrard, Étienne Dupuis, Philippe Sly, Pascal Charbonneau, Isaiah Bell, Tyler Duncan, Jean-Michel Richer, Marianne Fiset, Julie Boulianne et Kimy McLaren, chanteurs. Direction musicale: Kent Nagano. Mise en espace: Daniel Roussel. Avec surtitres français et anglais.

Mardi soir, Maison symphonique, Place des Arts; reprise jeudi et samedi, 20 h.