Alors que le public des concerts classiques peine à se renouveler, Paris va s'enrichir en deux mois de deux salles haut de gamme avec la réouverture vendredi de l'auditorium de la Maison de la radio totalement rénové, et le 14 janvier l'inauguration de la Philharmonie.

Jadis sous-équipé en grandes salles symphoniques, Paris pourrait maintenant être paradoxalement menacé de pléthore, ce qui pousse les gestionnaires à rivaliser d'imagination pour attirer de nouveaux publics.

Il faut «sortir du mono-format du concert classique dont on sait qu'il est en perte de vitesse», juge ainsi le directeur de la musique de Radio France Jean-Pierre Rousseau, à quelques jours de l'inauguration de l'Auditorium de la «maison ronde» qui abrite depuis 1963 dans l'ouest de Paris la radio publique française.

Nouvel écrin pour les orchestres de Radio France, l'Auditorium de 1461 places, la salle ressemble un peu à un gros tonneau de bois, avec ses balcons en grappe plongeant à la verticale sur une scène centrale. Aucun spectateur ne sera à plus de 17 mètres du chef d'orchestre.

Le gala d'ouverture vendredi soir permettra de découvrir la salle conçue avec le célèbre acousticien japonais Yasuhita Toyota du cabinet Nagata, également à l'oeuvre pour la grande salle de 2400 places de la Philharmonie.

Le programme du gala a donné lieu à de délicates tractations avec les deux orchestres rivaux de la Maison ronde, l'orchestre national de Radio France et l'orchestre philharmonique de Radio France. Le premier ouvrira la soirée avec une courte pièce de Henri Dutilleux, décédé en mai 2013, Wagner (l'ouverture de Tannhäuser), Strauss et Ravel (le célébrissime Boléro). Le second jouera Prokofiev, et avec le choeur de Radio France, Mozart et Ravel.

Plus de 10 000 personnes sont attendues sur trois jours, les 14, 15 et 16 novembre pour des concerts gratuits et émissions en public ou «juste pour passer voir», dit Jean-Pierre Rousseau.

Ensuite sont déjà prévus des concerts «expresso» à 19h en semaine, et Jean-Pierre Rousseau réfléchit à une offre renforcée le week-end pour les familles. «Chacune de nos offres doit être un événement», explique-t-il.

Radio France espère attirer 300 000 visiteurs par an, avec l'ouverture en 2015 d'une librairie et de restaurants avec terrasse sur la Seine.

Dans le nord-est de Paris, la Philharmonie, avec sa grande salle, sept salles de répétition, deux restaurants, un espace d'exposition et un pôle pédagogique, vise quant à elle plus de 600 000 visiteurs par an, dont 100 000 pour les activités pédagogiques.

Cette nouvelle installation, qui ouvre le 14 janvier, fait le pari des familles le week-end avec des formats qui rompent avec le sacro-saint concert assis: contes musicaux, spectacles gratuits le dimanche dans la «rue musicale», ateliers...

Concerts «expresso»

Concerts «expresso» ou «croque-musique» au déjeuner, concerts participatifs, garderie musicale: tous les grands orchestres commencent à imaginer des formules pour combattre le vieillissement accéléré du public constaté depuis 30 ans.

Mais en France, où l'âge médian du public du classique en France est passé de 36 ans en 1981 à 61 ans, «on en est aux balbutiements», note Stéphane Dorin, auteur d'une enquête sur les publics de la musique classique.

«Les orchestres américains, qui dépendent davantage du financement privé, ont été les premiers à tirer la sonnette d'alarme sur le vieillissement et le rétrécissement du public», constate Stéphane Dorin.

Le New York Philharmonic a réagi avec ses Concerts in the Parks, des retransmissions gratuites sur internet, des programmes adaptés à la communauté latino-américaine en plein essor.

En Grande-Bretagne, les concerts gratuits à l'heure du déjeuner ou ceux invitant le public à chanter sont une tradition et les «Proms» de la BBC, avec leurs 1400 places debout à 5 livres au Royal Albert Hall, sont un grand événement populaire.

À Berlin, le Philharmonique a créé les «lunchs concerts» gratuits en 2007 et son chef Simon Rattle a lancé des Late Night Concerts en 2011 pour donner des oeuvres modernes à 22h30. «C'est un public complètement différent de nos abonnés, beaucoup plus jeune, qu'on pourrait trouver dans une discothèque», constate Elisabeth Hilsdorf, chef des relations publiques du Berliner Philharmoniker.