Confession: n'étant pas particulièrement fan des Trois Accords, c'est chargée d'une appréhension aussi lourde qu'un mammouth que votre journaliste se dirigeait au concert du populaire groupe québécois avec l'OSM, hier soir à la Maison symphonique.

Au terme d'une soirée nous ayant transportés de surprise en surprise, un constat s'impose: le chef et orchestrateur Simon Leclerc vient de porter à un très haut niveau les attentes que l'on aura désormais envers tout spectacle de pop symphonique. 

Elle est bien révolue, l'époque où un groupe pop s'installait sur scène et enchaînait banalement ses tubes tandis que l'orchestre, à moitié enterré par la batterie et la guitare électrique, servait de figurant. Cette formule est aujourd'hui dépassée, car avec du génie, on peut amener une mélodie ou un texte, les plus rudimentaires soient-ils, à un tout autre niveau. Et du génie, il en fallait pour faire ce que Simon Leclerc a réussi avec les chansons complètement absurdes des Trois Accords.  

Plus grosse surprise de la soirée: en première partie, c'est assis bien sagement à la corbeille que Les Trois Accords ont réalisé un vieux rêve, celui d'assister à un de leurs propres concerts. 

En effet, après une brève ouverture instrumentale, le chef d'orchestre a pris le micro pour expliquer le déroulement de la soirée, dans le but, a-t-il dit, d'éviter «toute confusion, surprise ou arythmie cardiaque». Il a expliqué que les quatre musiciens lui auraient dit qu'ils respectaient énormément l'OSM, au point qu'ils préféreraient presque ne pas être là. Leurs grands succès, déconstruits, réinterprétés et rendus quasi méconnaissables par des orchestrations élaborées très cinématographiques, leur voleraient la vedette. 

Deux chanteurs lyriques, le baryton Patrick Mallette et la soprano Roseline Lambert, ont participé à cette amusante opération de détournement musical. C'est ainsi que l'on a pu entendre Hawaïenne en allemand et Dans mon corps en italien, façon opératique. Le public, complètement désarçonné, riait énormément et saluait la fin de chaque chanson de cris enthousiastes. Il y avait quelque chose de surréaliste dans le fait d'entendre des textes aussi absurdes que celui de Turbo sympathique («Voudrais-tu de l'attention? Voudrais-tu manger du thon? Veux-tu de l'aération? Non») chantés avec une diction soignée par un baryton prenant des poses théâtrales, ou Elle s'appelait Serge enjolivé de vocalises de colorature. Ce n'étaient plus Les Trois Accords, mais bien son public qui sortait de sa zone de confort.  

En seconde partie, les quatre membres du groupe sont enfin apparus sur scène pour interpréter les chansons de leur dernier album, J'aime ta grand-mère. Un narrateur, Sébastien Leblanc, intervenait entre chacune pour raconter la ridicule histoire d'amour imaginaire entre Simon et la grand-mère d'Alexandre.

Vêtus de costards, Les Trois Accords ressemblaient à un quatuor vocal rétro. Le chanteur Simon Proulx était au premier plan, tandis qu'Alexandre Parr et Pierre-Luc Boisvert le soutenaient de «hou-houuu-woua-woua» occasionnels. Le batteur Charles Dubreuil, quant à lui, se tenait assis en silence et immobile, au point que l'on se demandait s'il finirait par se changer en statue de sel. 

Il s'est enfin levé pour les trois dernières chansons, tandis que les deux chanteurs lyriques revenaient sur scène pour ajouter des contre-chants à J'aime ta grand-mère, Bamboula et Je me touche dans le parc. Pour la finale, Retour à l'institut, Charles Dubreuil est sorti de scène. Pendant que ses acolytes répétaient en un long crescendo les deux uniques phrases qui semblent constituer cette chanson, il a disparu pour réapparaître tout en haut, à la console du Grand Orgue Pierre-Béique. Le suspense était palpable: qu'allait-il faire? Jouer un accord, un seul, fortissimo, l'accord final de la chanson. Le tout s'est conclu par une ovation à tout rompre d'un public déstabilisé qui était venu entendre son groupe préféré, mais qui a découvert qu'avec un orchestre symphonique, on peut jouer plus que trois accords.