Première des deux séances de finale hier soir au Concours de piano. L'assistance était bonne à la Maison symphonique, mais ce n'était pas salle comble. La radiodiffusion en direct y est sans doute pour quelque chose.

À la première rangée de la corbeille, on aperçoit, en bas, protégés par un cordon de sécurité, les sept juges, chacun et chacune devant un pupitre éclairé. Les uns suivent dans la partition, les autres pas. Debout derrière eux, le président du jury et président du Concours, le notaire et ex-ministre André Bourbeau.

Trois premiers finalistes hier soir, les trois autres ce soir. Un concurrent se détache nettement de ce qu'on a entendu hier soir: l'Américaine Kate Liu qui, à 20 ans seulement, possède déjà l'étoffe d'une grande pianiste de carrière. Elle s'est mesurée au deuxième Concerto de Prokofiev, qui est non seulement le plus difficile des cinq du compositeur mais aussi l'un des plus terrifiants du répertoire concertant tout entier. En comparaison, le premier de Tchaïkovsky et le deuxième de Rachmaninov semblent ordinaires.

Ordinaires aussi, les deux exécutions entendues: le Tchaïkovsky par le Britannique Alexander Ullman, le Rachmaninov par le Québécois Charles Richard-Hamelin, déjà bien connu ici et récent gagnant du Prix d'Europe.

Ullman et Richard-Hamelin ne nous offrent pas de vraies interprétations de ces concertos, plutôt des «performances» de concours. On les sent, l'un et l'autre, d'abord préoccupés par une seule chose: impressionner le jury et décrocher le premier prix. Ce qui veut dire jouer vite et fort, sans penser à faire de la musique... Ou bien, comme chez Ullman, donner l'impression d'en faire en glissant ici et là de petits ritardandos qui tombent à plat. On le devine d'ailleurs nerveux. En comparaison, Richard-Hamelin a au moins le mérite de rester sobre et en contrôle de la situation. Sobre, mais un rien ennuyeux aussi.

Il est vrai que l'un et l'autre ne sont guère aidés par le chef invité et l'orchestre. Giancarlo Guerrero, qui nous vient du pays d'Elvis Presley, n'a visiblement pas eu le temps de soigner l'accompagnement. Conséquemment, le world famous OSM sonne comme un bon orchestre de seconde zone. À un moment donné, au finale du Tchaïkovsky, chef, orchestre et pianiste sont en trois lieux différents! À la fin du mouvement lent du Rachmaninov, le retour au tempo primo est annoncé par le plus beau miaulement de flûte qu'on y ait jamais entendu.

Après l'entracte: le miracle, avec cette toute jeune Kate Liu en robe rouge feu et son Prokofiev sauvage et déchaîné, où elle se bat contre l'orchestre sans montrer le moindre signe de faiblesse. Comme électrisé par sa présence, l'orchestre a lui aussi retrouvé toute sa force et le timing des échanges orchestre-piano est exactement ce qu'il doit être. Mais c'est la petite qui, à chaque instant, domine la scène. Les deux monstrueuses cadences découvrent des bras partout au-dessus du clavier. Dans le bref Scherzo, ce sont les doigts qui traversent avec une régularité imperturbable, et sans une seconde de répit, le rapide mouvement perpétuel en doubles croches à l'unisson. Et pourtant, tout, chez elle, semble tellement facile et naturel, tout est tellement musical...

On a d'abord écouté deux bons candidats de concours. Ensuite, une musicienne déjà parvenue à un niveau autrement supérieur.

_______________________________________________________________________________

CONCOURS MUSICAL INTERNATIONAL DE MONTRÉAL. Discipline: piano. Épreuve finale, avec l'Orchestre Symphonique de Montréal. Chef invité: Giancarlo Guerrero. Maison symphonique, Place des Arts. Première séance hier soir.

Programme:

Alexander Ullman, 22 ans (Royaume-Uni): Concerto no 1, en si bémol mineur, op. 23 (1875) - Tchaïkovsky

Charles Richard-Hamelin, 24 ans (Canada): Concerto no 2, en do mineur, op. 18 (1901) - Rachmaninov

Kate Liu, 20 ans (États-Unis): Concerto no 2, en sol mineur, op. 16 (1913, rév. 1923) - Prokofiev