Premier constat : à la dernière rangée de la corbeille de cette Maison symphonique bien grande pour un violon seul, on ne perd absolument rien de ce que Hilary Hahn tire de son précieux instrument. Dans cette salle conçue pour l'orchestre où, par exemple, un quatuor à cordes ou un chanteur peuvent sembler si loin, le violon de Hilary Hahn nous parvient dans toute sa plénitude et toutes ses couleurs. Celle qui le serre sur son coeur l'habite entièrement, à chaque mesure de musique; à aucun moment l'auditeur n'est conscient de la distance qui le sépare de la scène.

Même évidence concernant la gracile violoniste américaine de 35 ans. Technicienne impeccable, musicienne sensible et interprète intelligente, Hilary Hahn domine facilement le monde actuel du violon et éclipse du revers de la main, ou plutôt de l'archet, deux ou trois médiocrités surmédiatisées dont les noms terniraient le présent tableau.

Il ne faut pas en conclure que tout ce qu'a joué Hilary Hahn offrait la même qualité. Madame la vedette étant un être assez particulier, ceux qui sont venus l'entendre --  ou plutôt la «voir», pour en citer quelques-uns - ont dû accepter ses caprices. On connaissait le programme, à une exception près : il y aurait un Mozart, mais on ignorait lequel. Nouvelle surprise en entrant dans la salle : la violoniste allait annoncer elle-même au micro l'ordre des pièces, ordre qu'elle modifie chaque soir pour «rafraîchir» l'écoute, précise-t-elle en anglais, après avoir dit quelques mots en français. Du même coup, elle informe l'auditoire que le Mozart sera la Sonate K. 305, en la majeur.

La violoniste a d'ailleurs parlé pendant tout son récital, et trop souvent pour ne rien dire. Lorsque l'auditoire a applaudi après le premier mouvement du Mozart, elle a  raté une belle occasion d'initier ces néophytes aux bonnes habitudes du concert. Au lieu de leur expliquer que ces applaudissements nuisent au déroulement de l'oeuvre, elle leur a souri avec un petit salut.

Indépendamment de son immense talent de violoniste, il faut bien regretter chez Hilary Hahn certains choix douteux. Ces pièces signées Richard Barrett et Anton Garcia Abril, tout comme ce rappel dont elle a marmonné titre et auteur, n'apportent rien au répertoire et, surtout, rien à un art violonistique qui s'est pleinement manifesté dans la très longue Fantaisie quadripartite de Schubert et la brève, très difficile et très hermétique Fantaisie de Schoenberg.

Comme expériences violonistiques et musicales absolument totales, bien que de genres très opposés, les 25 minutes du Schubert et les 8 minutes du Schoenberg valaient le récital entier. On sent une légère fatigue au début du Schubert, placé en fin de programme, mais le tout se ramène à un tour de force que Kremer lui-même ne réussit pas sur son disque. Quant au quasi impénétrable Schoenberg, Hilary Hahn parvient à en souligner les deux thèmes, le développement et jusqu'au trio dans la section marquée Scherzando.

On peut retenir aussi le Telemann et le Mozart, bien qu'il s'agisse avant tout d'exercices d'articulation. Il faut aussi mentionner le pianiste, exemplaire à tous égards. Mais on peut oublier tout le reste...y compris les remerciements à la tourneuse de pages.

HILARY HAHN, violoniste, et CORY SMYTHE, pianiste. Vendredi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Présentation conjointe OSM-Pro Musica.

Programme

Shade (2010) - Barrett

Fantaisie pour violon seul no 6, en mi mineur, TWV 40:019 (1735) - Telemann 

Tres sospiros (2012) - Garcia Abril

Sonate no 29, en la majeur, K. 305 (1778) - Mozart

Fantaisie op. 47 (1949) - Schoenberg

Fantaisie en do majeur, op. 159, D. 934 (1827) - Schubert