Marc Hervieux est partout. Si certains regrettent qu'il ait délaissé, il y a quelques années, l'art lyrique et les tournées dans le monde pour des raisons familiales, ce recul lui a donné l'occasion de réaliser d'autres rêves. Il coanime, à la télévision de Radio-Canada, Cap sur l'été avec Marie-Josée Taillefer. On peut l'entendre à Radio-Classique. Il donne des concerts. Et il fera partie cet été, dans le cadre de Juste pour rire, de Sister Act, la comédie musicale mise en scène par Denise Filiatrault.

Tous les matins, le petit Marc voyait son père, boîte à lunch sous le bras, le pas lent et fatigué par la routine, partir à l'usine. Le garçon, lui, rêvait. Il rêvait de jouer la comédie, de chanter. Mais papa s'inquiétait. Comment son fils allait-il pouvoir gagner sa vie en étant artiste?

Nous sommes bien des années plus tard, Marc Hervieux a joué et chanté les grands opéras sur les scènes du monde. Il a enregistré des albums, fait de la télé et serré la main du succès plus souvent qu'à son tour.

Son papa? Il est mort à 64 ans sans avoir pu s'enorgueillir de la réussite de son fils, le coeur usé par une vie où l'ouvrage a toujours pris le dessus sur le plaisir.

«Il l'a eue dure, se souvient Marc Hervieux. Il savait que j'avais du talent, mais il ne voyait pas comment il m'aurait été possible de gagner ma vie. Alors, je suis allé étudier en graphisme. Je ne haïssais pas ça. Il y avait tout un côté artistique. J'ai ouvert un bureau. Ça marchait bien. Et quand mon père est mort, c'est comme si je m'étais donné la permission d'oser.»

Il avait alors 23 ans. Il a auditionné, s'est retrouvé dans une pièce de la Nouvelle Compagnie théâtrale. Il y chantait des extraits de Don Giovanni appris par coeur. La critique a été favorable. L'intraitable Robert Lévesque a laissé échapper quelques bons mots de sa plume. Il n'en fallut guère plus. La mèche était allumée.

«Je suis allé voir Louis Quilico et d'autres pour leur demander leur avis, se souvient-il. Je voulais savoir si j'avais vraiment le talent, sinon je serais retourné au graphisme.»

Handicap

Partout, dans toutes les écoles où il a auditionné, Marc Hervieux a été accepté. Même en Indiana, où on lui a offert une bourse d'études. Or, il a choisi le Conservatoire.

«Mais j'arrivais sans connaissances musicales, confronté à des gens qui, eux, avaient un bagage; un handicap indéniable par rapport aux autres. D'ailleurs, plus d'une fois, on m'a montré la porte et, plus d'une fois, il s'est trouvé deux ou trois professeurs pour monter aux barricades afin de me sauver la peau.»

Tout ça est derrière, loin derrière, mais il y a des choses qu'on n'oublie pas. Pas à pas, il a creusé son sillon et parcouru le monde. Pendant des années, il quittait les siens de cinq à neuf mois pour faire résonner sa voix de ténor de scène en scène.

«Au début, dit-il, c'est super, ça va bien. Mais à un moment donné, j'ai voulu sauver ma famille, voir ma femme, mes trois filles, vivre avec elles, les regarder grandir. L'école commençait aussi.»

Starmania

En même temps, le boulimique professionnel avait la tête pleine de projets. Comme s'il n'avait jamais oublié le quartier ouvrier d'où il était issu, il avait envie de toucher à du plus «populaire», ou devrais-je plutôt dire du plus «accessible», du plus «grand public» ? Sans renier toutefois l'art lyrique.

En fait, l'artiste est un touche-à-tout. Il s'est donc posé sans se poser vraiment. L'impulsion de cette nouvelle étape, il la doit au Starmania symphonique. On a aussi commencé à le voir davantage à la télé, à Bons baisers de France, par exemple.

«Je me suis juste dit, tout ce que j'ai envie de faire, je vais le faire. C'est drôle parce qu'en rentrant dans le bureau de Brigitte Lemonde, de la maison de production Zone 3, je savais qu'on ferait affaire ensemble. J'ai donné ma liste d'épicerie: les disques pop, les tournées pop, les albums classiques, la télé... Et on a commencé par l'album, dont on a vendu presque 100 000 copies. Grâce au succès, j'ai voulu tout de suite amorcer la tournée.»

Projets

C'était plus que parti: le Monument-National, une centaine de spectacles en salle, des événements d'entreprise, et tout ça roule depuis trois ans.

Les projets se sont accumulés: la télé, où il coanime avec Marie-Josée Taillefer Cap sur l'été; la Radio-Classique, où il s'est emparé du micro les samedi et dimanche matin et où il retournera l'automne prochain; la comédie musicale Sister Act, que le film avec Whoopi Goldberg a rendue célèbre et que Denise Filiatrault met en scène dans le cadre du Juste pour rire.

Une distribution hallucinante de presque 30 personnes dont fait partie Hervieux qui ici, étrangement, chante peu. Il incarne l'évêque, espèce de Barry White en mitre, ravi de voir son église retrouver ses fidèles.

«Et Brathwaite, lui, qui n'a pas foulé les planches depuis Pied de poule, fait un pimp pas pire», ajoute Hervieux. Il n'arrête pas. Un gourmand. Un passionné. Il ne pense pas aux lendemains qui chantent ou déchantent. Il n'a jamais eu de plan de carrière. Il dévore. Il est dans l'action-réaction, dans la vie. Carpe diem, comme dirait Horace.

Sans regrets

«Je n'ai pas de regrets. Je ne suis ni dans le passé ni dans le futur. Des fois, je pense à mon père qui serait super nerveux de voir mon rythme de vie, mais il serait fier, je crois. Et compte tenu du milieu d'où je viens, j'éprouve moi-même de la fierté en me disant que grâce à moi et à ma petite entreprise, il y a une quinzaine de personnes qui ont du boulot.»

Bon, il ne le cache pas. S'il doit rebondir et retourner à l'opéra, ça sera ça. Or, l'homme qui ne connaît pas le trac, qui se lance le moment venu, rêve encore et toujours, tel l'enfant qu'il était. Mais de quoi? Je m'arrête un instant et perçois dans l'oeil de Pagliaccio un désir inassouvi: «J'aimerais vraiment beaucoup jouer au cinéma, des rôles très loin de moi, des êtres tourmentés et violents.»

Le message est lancé, mais c'est déjà écrit dans le ciel: Hervieux sur grand écran... Et sur la marquise des cinémas, ces mots en lettres de lumières: salut, l'artiste!