De retour d'Europe, l'Orchestre Symphonique de Montréal retrouve son public... ou plutôt une partie seulement de celui-ci : le nombre de sièges vides est frappant et toute la section derrière l'orchestre est inoccupée. Il est vrai que le nom de Michel Plasson attire moins que celui de Gustavo Dudamel, que l'omniprésente Karina Gauvin chantait dans la même salle il y a quelques jours à peine, et qu'on ne se bouscule pas encore aux portes pour écouter la Symphonie de Chausson ou Les Illuminations de Britten.

Par ailleurs, les fans de l'OSM qui se sont déplacés découvrent leur orchestre privé de la plupart de ses premiers-pupitres, et sans qu'on leur dise pourquoi. Ainsi, au premier rang des altos, on aperçoit deux jeunes femmes qu'on n'a jamais vues. À l'exception d'un beau raté de trompette vers la fin du concert, on doit reconnaître que tous les remplaçants font l'affaire. À cet égard, il faut signaler les irréprochables solos de Denis Bluteau, flûte-associé, et, chose étonnante, ceux de l'«indestructible» Richard Roberts. Principal violon-solo depuis on ne sait plus combien d'années, Roberts est fréquemment écarté au profit du plus jeune Andrew Wan. Pour ce concert, il retrouve son fief d'autrefois et l'occupe pleinement : il donne enfin beaucoup de son et joue enfin juste.

Comme lors de son dernier passage à l'OSM, en septembre 2011, Michel Plasson a choisi un programme français... ou presque : bien que Britten soit Britannique, son oeuvre fait entendre des poèmes de Rimbaud. Sorti d'une très délicate opération au coeur, le respectable octogénaire entre très lentement et monte difficilement au podium. Une fois devant l'orchestre, il dissipe tout doute sur son autorité de grand représentant - le dernier, peut-être - de la pure tradition symphonique française des Munch, Monteux et Inghelbrecht.

La partition ouverte devant lui pour les deux premiers volets des Nocturnes de Debussy (chose étonnante dans son cas), il caresse toutes les subtilités de dynamique et de mouvement de Nuages, d'où émerge le mystérieux triolet du cor-anglais de Pierre-Vincent Plante, puis, en total contraste, pousse l'orchestre à son maximum d'énergie rythmique et d'éclat dans Fêtes. Son choix est d'ordre pratique (le troisième volet requiert un petit choeur féminin) et il est historiquement logique puisque ces deux volets furent les premiers créés, en 1900.

Sobrement habillée de gris, Karina Gauvin reprend ensuite ces Illuminations de Britten qu'elle chanta ici même deux fois, en 1996 et en 1998, et enregistra en 2009. La blonde chanteuse projette une voix somptueuse, l'adapte intelligemment au délire du texte hermétique de Rimbaud - qu'elle a mémorisé, comme lors de ses précédentes prestations - et s'applique à mettre en relief des paroles souvent perdues parce que placées trop haut dans la tessiture. L'acoustique aidant, on distingue mieux les mots; on note même que la chanteuse en tronque quelques-uns... Son glissando sur «...et je danse», à la fin de la troisième pièce, est assorti de deux «piano». Britten en demande trois. Chef et cordes complètent étonnamment bien le climat surréaliste créé par la voix, mais l'indication d'enchaîner certaines des pièces est étrangement ignorée.

Après l'entracte, M. Plasson laisse de côté la partition pour la suite de concert de la musique de scène de Pelléas et Mélisande de Fauré et l'unique Symphonie de Chausson, deux oeuvres qu'il dirigeait ici au même concert, en 2002. Sous sa baguette, le Fauré reste ce qu'il est : un chef-d'oeuvre de poésie et de tendresse. Mais le Chausson paraît interminable. Il est clair que les musiciens lisent ici une musique à laquelle ils ne vibrent pas.

M. Plasson reçoit une longue ovation, qu'il partage avec l'orchestre, et entraîne celui-ci dans un rappel : l'Adagietto de la première Suite de L'Arlésienne de Bizet. Curieusement, il avait ajouté le même rappel à son concert de 2011.

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité : Michel Plasson. Soliste : Karina Gauvin, soprano. Jeudi soir, Maison symphonique, Place des Arts, série «Grands Concerts». Reprise dimanche, 14 h 30, série «Dimanches en musique».

Programme:

Nuages et Fêtes (1900), ext. de Nocturnes - Debussy

Les Illuminations, pour voix et cordes, poèmes de Rimbaud (1940) - Britten

Suite de Pelléas et Mélisande, op. 80 (1901) - Fauré

Symphonie en si bémol majeur, op. 20 (1891) - Chausson