Au milieu de représentations de Rusalka au Metropolitan de New York et de répétitions et concerts avec son «autre Met», l'Orchestre Métropolitain de Montréal, l'omniprésent Yannick Nézet-Séguin dirigeait tel que prévu, et malgré les rumeurs sur sa santé, la principale des cinq auditions du présent programme Strauss-Beethoven de l'OM hier après-midi, dans une Maison symphonique bien remplie.

Délaissant son habituel costume noir, le jeune maestro portait une sorte de complet d'été gris bleuté qui le rendait méconnaissable. Pour le reste, la même présence de toujours: quelques mots d'une présentation bilingue et, surtout, une lucidité de tous les instants devant cet orchestre qu'il adore et qui l'adore. Un tout petit oubli cependant: ce concert n'est pas le premier de l'OM en cette nouvelle année. Il y en eut un le 26 janvier, avec un autre chef.

Donné cinq fois en quelques jours, ce programme a pour pièce de résistance la célèbre troisième Symphonie de Beethoven, cette Eroica identifiée à Napoléon, d'où le titre À la mémoire d'un grand homme donné au programme. Au micro, Nézet-Séguin a modifié ce titre en celui-ci: À la mémoire de plusieurs grands hommes, sans préciser davantage.

Bien des noms ont alors surgi à l'esprit, et d'autant plus que la première des deux oeuvres de Richard Strauss jouées en début de programme est cet «in memoriam» inspiré à Strauss par l'humiliante défaite de son pays en 1945.

La partition mobilise 23 instruments à cordes, chacun jouant une partie indépendante. Des chefs de l'ère nazie comme Karl Böhm, Clemens Krauss et le jeune Karajan en ont laissé des enregistrements forcément convaincants. À l'OM, la pièce reçut une lecture approximative, manifestement préparée à la hâte, qui en faisait une chose assommante et interminable, telle une tapisserie monochrome se déroulant machinalement pendant 28 minutes.

Du même Strauss suivait le deuxième Concerto pour cor, autre produit des années de guerre. Engagé comme soliste du concert alors qu'il était cor-solo de l'OM, Louis-Philippe Marsolais vient de passer à l'OSM comme troisième-cor. Retrouvant son ancien chef et ses anciens collègues, il a joué avec exactitude et dialogué chaleureusement avec eux.

Intéressants à entendre, ces Strauss peu familiers. Un peu ennuyeux aussi. Les vrais chefs-d'oeuvre, eux, passent toujours la rampe. Dirigeant de mémoire, Nézet-Séguin redonne à l'Eroica toute sa force et toute sa profondeur. Un horaire inhumain l'oblige-t-il à omettre la reprise au premier mouvement et à prendre à une telle vitesse le premier mouvement? Peu importe: le résultat est des plus stimulants. On oublie la reprise, on reste pantois devant la virtuosité de l'orchestre ainsi aiguillonné. Nézet-Séguin souligne avec une rare éloquence les voix polyphoniques de la Marche funèbre et, en total contraste, conduit le finale à variations à une conclusion fracassante... et une ovation en accord. Une fois de plus, Beethoven a gagné!

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ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN. Chef d'orchestre: Yannick Nézet-Séguin. Soliste: Louis-Philippe Marsolais, corniste. Hier après-midi, Maison symphonique, Place des Arts.

Programme:

Metamorphosen, pour 23 cordes (1945) - Strauss

Concerto pour cor et orchestre no 2, en mi bémol majeur (1942) - Strauss

Symphonie no 3, en mi bémol majeur (Eroica), op. 55 (1804) - Beethoven.