Le mystère Tharaud perdure. Le scandaleux succès de ce pianiste ordinaire et pareil à des centaines d'autres ne peut s'expliquer que par une chose: l'action d'une puissante machine médiatique sur un public aussi considérable que facile à berner.

L'homme de 45 ans, à l'allure d'adolescent chétif, a déjà joué d'une façon convenable, sinon transcendante. Sa lecture des Variations Goldberg, inscrite au présent Festival Bach, fut précisément cela: une lecture. Le pianiste a continuellement les yeux rivés sur son cahier à musique, comme s'il voyait le texte pour la première fois. Hélas! c'est aussi l'impression que ressent l'auditeur.

Il semble qu'un problème de mécanique pianistique soit à l'origine du malaise: les deux mains, au lieu de se compléter, ne respirent pas parfaitement ensemble, ne se parlent pas. Comme si l'air ne passait pas entre elles. Le jeu est toujours clair, ce qui ne fait qu'en souligner les imperfections.

Dans la 7e variation, M. Tharaud traduit en vif langage pianistique les ornements (trilles et mordants) de l'original pour clavecin. Il faut reconnaître aussi que la 25e variation - l'une des trois seules en mineur, sur un total de 30 - sonne assez bien sous ses doigts. Il a d'ailleurs raison d'y faire les deux reprises. Mais le reste...

Concernant les reprises, justement, il faut remercier M. Tharaud de nous en avoir épargné une bonne quantité. Chaque omission suscitait la même réaction: «Il poursuit: quel bonheur!». Oui, quel bonheur de passer outre car cette exécution fut, finalement, d'une belle médiocrité. Elle fut ovationnée, en même temps que sifflée copieusement, par une salle comble.

Lorsqu'un pianiste doit ralentir son élan, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, pour exécuter correctement les croisements de mains de la 26e variation, on conclut qu'il doit retourner travailler son piano. Or, le programme nous apprend que M. Tharaud «n'a pas de piano». Voilà qui explique tout!

La soirée ne fut pas complètement perdue cependant: à 18 h 30, ce savant de la musique qu'est Gilles Cantagrel vint parler de l'oeuvre à l'affiche.

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ALEXANDRE THARAUD, pianiste. Samedi soir, salle Bourgie du Musée des beaux-arts. Dans le cadre du 7e Festival Bach.

Programme:  

Variations Goldberg, BWV 988 (1742) - J. S. Bach