Comme programme inaugural de la 33e saison de l'Orchestre Métropolitain, Yannick Nézet-Séguin avait choisi trois oeuvres centenaires, toutes créées en 1913: Le Sacre du printemps de Stravinsky, le deuxième Concerto pour piano de Prokofiev et Jeux de Debussy. Il remplaça le Debussy, placé en début de concert, par l'Adagio de Samuel Barber, joué à la mémoire du financier et mécène Paul Desmarais.

Lui rendant hommage, le jeune chef rappela que l'OM «doit plus que beaucoup» à M. Desmarais. L'OSM, qui peut en dire autant, avait précédé l'OM en ce sens dimanche dernier en jouant à sa mémoire ce premier Concerto pour violon de Bruch qu'il aimait tant.

Dans le cas du Bruch, il s'agissait d'un hasard puisque la pièce figurait à la programmation depuis longtemps. Le Barber constituait une très touchante décision, et d'autant plus que Jacqueline Desmarais et quelques membres de la famille assistaient au concert. Le Debussy aurait quand même pu être maintenu: il faisait partie du concept original, il était attendu par plusieurs et le Barber ne représentait que sept minutes de plus.

À l'origine, il s'agit du mouvement lent de l'unique quatuor à cordes, daté de 1936, du compositeur américain. En passant de quatre cordistes à la phalange complète des archets d'un grand orchestre, la pièce prend une dimension insoupçonnée. Dans le cas présent, elle illustrait la très haute qualité que les cordes de notre «second orchestre» ont atteinte au cours des ans en fait de justesse, de legato et de sonorité nourrie. Mieux encore: comme en étroite communion de pensée avec le disparu, Nézet-Séguin tira de l'Adagio de Barber une émotion poignante à laquelle vibra la salle absolument comble, demeurée silencieuse longtemps après les dernières notes.

Beatrice Rana, pianiste de 20 ans, premier prix au Concours de Montréal de 2011 et deuxième prix au récent Concours Van Cliburn, au Texas, parut ensuite pour le deuxième Concerto de Prokofiev, le plus long et le plus difficile des cinq du compositeur. Premier constat: elle n'éprouve aucun problème de technique, joue toutes les notes, voit très clair à travers les cadences enchevêtrées et traverse à un rythme imperturbable le mouvement perpétuel en doubles croches du Scherzo. Mais, face aux hercules du piano qui y remuent mer et monde, la délicate pianiste ignore le côté «barbare» du concerto, sans doute par nécessité plutôt que par choix, et s'attarde à son aspect lyrique et rêveur. Nézet-Séguin et l'orchestre l'ont encadrée à la perfection.

La petite ne manque pourtant pas d'endurance. Ovationnée par l'auditoire debout, elle ajouta un rappel, sans l'identifier. De toute évidence, un Rachmaninov, et sans doute l'une des nombreuses Études-Tableaux.

Le Sacre du printemps occupe l'après-entracte. Revenant au micro, Nézet-Séguin rappelle le scandale que provoqua à sa création cette partition destinée à un ballet primitif. Quelques couacs de la petite clarinette accompagnent l'entrée en matière (et reviendront d'ailleurs plus tard), une ou deux attaques manquent de précision, mais ces détails ne diminuent en rien l'impression générale, qui reste captivante à tous les niveaux.

Cette oeuvre, l'une des plus audacieuses du XXe siècle, Nézet-Séguin l'a choisie pour son premier enregistrement avec le Philadelphia Orchestra (dont il est maintenant le titulaire). Il la connaît bien et y entraîne avec un brillant succès son orchestre montréalais augmenté à quelque 100 musiciens. Son Sacre se situe dans la meilleure tradition: il est tour à tour mystérieux et sauvage. Il comporte aussi quelques trouvailles. Ainsi, on a rarement entendu un son aussi étouffé, comme venant de très loin, dans le solo de trompette «con sordino» au début de la seconde partie.

ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN. Chef d'orchestre: Yannick Nézet-Séguin. Soliste: Beatrice Rana, pianiste. Vendredi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Reprise samedi soir, 19 h 30, Collège Regina Assumpta, Ahuntsic.

Programme:

Adagio, ext. du Quatuor à cordes op. 11 (1936) - Barber

Concerto pour piano et orchestre no 2, en sol mineur, op. 16 (1913, rév. 1923) - Prokofiev

Le Sacre du printemps (1913) - Stravinsky

Précision:

Lors de sa parution initiale, une photographie de Yannick Nézet-Séguin fournie par l'Orchestre Métropolitain coiffait cet article. Il aurait fallu inclure le nom du photographe Philippe Jasmin dans les crédits. Nos excuses.