La présence de Coeur de pirate parmi nos grands noms du classique a intrigué notre critique musical Claude Gingras (82 ans), qui a souhaité la rencontrer. Voici sa première entrevue avec une «chanteuse populaire» en plus de 40 ans. «Vous êtes le seul à avoir compris ce que je veux faire», lui a-t-elle confié.

La jeune chanteuse populaire qui se produit sous le nom inhabituel de Coeur de pirate partage la Maison symphonique avec l'OSM ce soir et jeudi, 20h, et participera le 16 octobre, 18h30, au Conservatoire, à un événement-bénéfice en compagnie de Yannick Nézet-Séguin, Joseph Rouleau, Marie-Nicole Lemieux, Alain Trudel et François Dompierre.

Sa présence parmi nos grands noms du classique, en plus d'Albert Millaire et d'autres encore, suscite la curiosité de tous ceux qui vont habituellement à Beethoven ou Verdi.

Béatrice Martin, de son vrai nom, revient ici à un monde qu'elle n'a jamais vraiment quitté.

Mais tout d'abord, ce nom, Coeur de pirate?

«J'avais 17 ans. J'en ai 24. Un de mes petits amis, qui chantait et travaillait à des chansons pour des marins, m'a fait du mal. Oui, du mal. Il me disait: «Tu feras jamais rien de bon dans ta vie.» J'ai voulu me venger. J'ai commencé à écrire des chansons et à les chanter, sous le nom de Coeur de pirate.»

On en déduit: blessée par un pirate. «Si on veut», observe la petite, avec un sourire qui n'a rien de vindicatif.

Béatrice - comme ses proches l'appellent toujours - a étudié au Conservatoire de 9 à 14 ans: solfège et piano avec Louise Bessette, notre spécialiste du contemporain, qui l'a aussi initiée aux répertoires baroque, classique et romantique.

«Ma mère, Élise Desjardins, qui est toujours à l'emploi du Conservatoire comme pianiste accompagnatrice, voulait que je devienne pianiste de concert. Je me disais: peut-être. Je composais mes chansons dans ma chambre et je pratiquais dans le salon sur le piano de ma mère, que j'ai maintenant chez moi. À un moment donné, je n'en pouvais plus de pratiquer autant. Je n'avais plus le goût de jouer du piano en public. Je me demandais à quoi tout cela servait. Alors, j'ai tout laissé. La musique classique m'a quand même servi de base pour ce que je fais aujourd'hui.»

Mais Béatrice n'a pas renié ce bagage. «Au contraire. Chopin a toujours été mon compositeur préféré et, dès que je peux, je retourne aux recordings de sa musique. Malheureusement, je n'ai plus beaucoup de temps.» Détails révélateurs: Béatrice parle de «recordings» et a oublié les titres des pièces de Chopin, Debussy et Bartok qu'elle a apprises.

La petite fait maintenant ce qu'elle aime: écrire paroles et musique de chansons qu'elle interprète elle-même, parfois en s'accompagnant au piano.

Comme du minimalisme

Le tout se ramène à peu de chose. Tout d'abord, des textes très simples, naïfs, plutôt tristes, voire un peu maladifs (elle corrige: «de mal de vie»), où elle raconte des expériences personnelles. Confirmation: «J'ai parlé des problèmes des autres dans deux chansons seulement. À ce jour, j'en ai écrit une centaine.»

Ensuite, la musique. Là encore, une simplicité déconcertante. «Je reste dans une tonalité. Ça ne module pas trop!» Et la voix? Toute petite, sans une once de vibrato, avec une ligne de chant proche du parlé, le tout à l'intérieur d'une octave. Autre confirmation de l'intéressée, qui nous chante une octave, do-ré-mi-fa-sol-la-si-do, et pas une note de plus!

Le résultat peut paraître - comment dire? - insignifiant et je risque le mot. La petite réagit avec un sourire en reprenant le mot malheureux. Je répète: «peut paraître»... et elle comprend. Le rapprochement avec le minimalisme la surprend aussi. «Je n'avais jamais pensé à ça.»

J'enchaîne: on ne comprend pas toujours tous les mots et cela se produit assez souvent pour faire conclure à une volonté de la part de l'auteure-interprète. Comme si elle souhaitait garder secrète une partie du message.

«La diction: c'est ce qu'on me reproche le plus souvent. Mais ce n'est pas un accident, ça, c'est sûr. (Pause. Sourire encore.) Vous êtes le seul à avoir compris ce que je veux faire.»

Béatrice aura-t-elle un serrement de coeur le 16 octobre lorsqu'elle franchira de nouveau la porte du Conservatoire? «Oui. Mais je ne retourne pas au piano classique. Je ne crois pas que j'aurais le talent pour jouer en public. Le goût, peut-être. Mais la technique, la force, la volonté, je ne les ai jamais vraiment eues.»

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OSM Pop: Adam Cohen et Coeur de pirate symphoniques, ce soir et demain à la Maison symphonique