Vincent Boucher vient d'entreprendre chez ATMA l'enregistrement intégral des oeuvres pour orgue de Charles Tournemire. Selon ses calculs - car il est un expert en calcul: on verra bientôt pourquoi - , cette production gigantesque totalise 24 heures de musique, ce qui correspondra à 24 disques compacts.

Son travail s'étendra sur plusieurs années et se fera sur plusieurs orgues. À ce jour, trois disques ont paru et ont été enregistrés sur deux orgues: Saint-Jean-Baptiste et Saints-Anges de Lachine. À SJB, il est organiste adjoint. Son père, Jacques Boucher, y est le titulaire.

Vincent Boucher entend terminer son intégrale pour 2020, année qui marquera le 150e anniversaire de la naissance de Tournemire. Né en 1870, mort en 1939, Tournemire fait le lien entre deux grandes périodes de l'orgue français, celle de César Franck et celle d'Olivier Messiaen. Les spécialistes voient en Tournemire le précurseur de Messiaen et c'est sur lui que se concentre Vincent Boucher.

«Tournemire, dit-il, est l'un des compositeurs les plus importants de l'histoire de l'orgue. Il transcende l'instrument. Mais il est injustement négligé. J'espère que mon intégrale, qui sera, je pense, la première vraiment complète, va contribuer à réparer cette situation.» Sans le dire ouvertement, il place Tournemire plus haut que Messiaen, «que je respecte, mais sans avoir une grande affinité pour sa musique».

L'orgue et le public

L'orgue connaît depuis quelques années auprès du public, partout au Québec et principalement à Montréal, une faveur exceptionnelle. À quoi Vincent Boucher attribue-t-il ce phénomène? "À bien des facteurs. Tout d'abord, Montréal jouit d'une grande réputation comme centre de l'orgue: nous possédons beaucoup d'instruments, et de tous les types. Ensuite, il y a maintenant la vidéo, qui permet au public de voir l'organiste à l'oeuvre. Finalement, toute une génération a une approche neuve de l'orgue parce qu'elle n'a pas grandi à l'église et n'a donc pas d'association négative avec l'orgue, comme les funérailles, par exemple.»

Vincent Boucher constitue un cas sans doute unique dans le monde de l'orgue: il est à la fois un organiste de premier plan et un expert en haute finance. On connaît son parcours d'organiste, comme de claveciniste. Parmi de nombreuses distinctions, il a remporté le Prix d'Europe en 2002, s'étant inscrit cette année-là dans les deux disciplines: clavecin et orgue. Il anime également, à Radio-Ville-Marie, une émission hebdomadaire sur le chant choral.

Par ailleurs, détenteur de diplômes en administration des HEC, de McGill et de l'Université d'Oxford, en Angleterre, il travaille depuis 14 ans pour la maison Investissements Standard Life. Avec un sourire, il reconnaît que le travail en milieu financier lui assure un revenu «beaucoup plus stable» que le métier d'organiste.

Concilier deux mondes

On peut se demander comment il concilie ces deux mondes. «Il n'y a pas de paradoxe. J'ai eu le coup de foudre pour l'orgue à 16 ans (je faisais déjà de la musique à 5 ans) et j'ai eu le coup de foudre pour la finance à 16 ans également, grâce à un extraordinaire professeur d'économie que j'avais au secondaire. On pense que la musique, c'est de l'émotion et que la finance, c'est des chiffres. La musique est beaucoup plus rationnelle qu'on le pense: l'espace entre les notes, entre les accords, les harmoniques: tout ça, ce sont des chiffres. En finance, il y a, bien sûr, beaucoup de chiffres, mais les mouvements boursiers, les grandes crises financières, la panique des investisseurs, l'avarice aussi: tout ça, c'est beaucoup d'émotion.»

Ses goûts en musique ne se limitent pas à l'orgue. Pendant qu'il était aux études à Vienne, il a vu 65 opéras en cinq mois. Il aime les Symphonies de Dvorak autant que celles de Beethoven, les oratorios de Handel et la musique de la Renaissance... mais pas le jazz.