Michel Sénéchal était, pour la troisième année d'affilée, invité comme professeur à l'Institut canadien d'art vocal, dont le 10e stage se termine par le traditionnel concert des participants ce soir, 19h30, salle Bourgie.

Des 42 stagiaires inscrits cette année, une douzaine ont travaillé le répertoire français d'opéra et de concert avec M. Sénéchal. Le jovial et rondelet ténor de 86 ans a pris, comme toujours, un tel plaisir à l'exercice qu'il nous a déclaré d'entrée de jeu: «Une opération aux deux genoux me cause une douleur persistante qui, comme par miracle, disparaissait pendant mes cours!»

L'ancien chanteur aime à ce point faire profiter ces jeunes de son expérience de 55 ans de carrière. Et pourtant, la tâche n'est jamais facile.

«La plupart ne sont pas de langue française. Ils adorent la musique française, mais ils ont souvent mal appris au départ et je dois passer des heures à corriger, à leur apprendre la vraie prononciation et le vrai style français. J'ai très peur qu'après moi, on ne s'occupera plus de cela. Je ne veux pas dire par là que je me crois indispensable. Je veux défendre la langue française - non seulement en musique mais partout. On parle le français de plus en plus mal, on ne sait plus articuler. À Paris, c'est épouvantable: à la télévision, à la radio, nos hommes politiques, tout le monde!»

M. Sénéchal, qui préside en France un organisme appelé précisément L'Art du chant français, observe la défaveur de celui-ci un peu partout dans le monde musical, y compris ici même comme aux États-Unis. L'une des causes en est, selon lui, «la place prépondérante de l'opéra italien, attribuable à l'immigration italienne massive que l'Amérique a connue».

Il explique: «Les Italiens se sont installés. Ensuite, ils ont eu besoin de musique et se sont largement servis dans leur propre culture.»

M. Sénéchal regrette même qu'on chante les opéras dans la langue originale au lieu de les chanter en français. «On abandonne le français. Pourtant, il existe de très bonnes traductions. J'ai moi-même chanté Almaviva dans une excellente traduction française.»

Le baroque chanté

Il regrette aussi qu'on ne monte jamais ici les opéras baroques français. «Il y a un très grand compositeur français complètement absent de vos scènes: Rameau. J'ai chanté Platée. Cet immense succès en a entraîné d'autres: Hippolyte et Aricie, Castor et Pollux. Ce sont des ouvrages extraordinaires.»

Mais il précise qu'il n'a jamais chanté ces Rameau dans le style baroque. «Je vais vous dire une chose: le style baroque, j'en ai marre. Ce n'est pas beau du tout. C'est sec. Les baroqueux, pour respecter leur style - je dis bien leur style -, sont obligés de donner des sonorités de gorge, ce qui n'est pas très recommandé pour la voix. Et comme on ne peut pas chanter forte en baroque, par le fait même on prive la voix de bien des nuances.»

Nous avions évoqué les grandes lignes de la carrière de Michel Sénéchal lors d'une première interview en 2011. Rappelons qu'après avoir longtemps incarné les jeunes premiers, il aborda vers 50 ans les rôles de composition comme les quatre petits rôles de ténor des Contes d'Hoffmann, d'Offenbach. Il chanta pendant 23 saisons au Festival d'Aix-en-Provence et pendant 23 autres saisons au Metropolitan.

Le «grand chanteur»

Quelle est sa définition d'un grand chanteur?

«C'est avant tout l'artiste, et non pas l'artisan de la voix. Bien sûr, il faut un bel organe vocal, mais c'est le départ de tout. Il faut aussi la culture musicale et une expression qui surpasse tout le monde par sa grande qualité. C'est un ensemble.»

Et ses choix de grands chanteurs? Chez ceux d'autrefois, il énumère trois Georges: Noré, Jouatte et Thill, ainsi que Germaine Lubin, qu'il a connue intimement. Aujourd'hui: Roberto Alagna, Natalie Dessay, Béatrice Uria-Monzon, Philippe Rouillon, Jean-Philippe Courtis. Chez les étrangers: Jonas Kaufmann et Susan Graham.

Quelqu'un est absent de la liste: Dietrich Fischer-Dieskau.

«Vous me posez une question très délicate. Je l'admire, surtout pour sa grande et longue carrière. Mais je vais être très franc: il m'ennuie. Je trouve que ses couleurs - il en a plusieurs - sont toujours les mêmes. D'ailleurs, il a été plus chanteur de concert que chanteur de théâtre...»

Michel Sénéchal écrira-t-il ses mémoires?

«Je les enregistrerai. Et je ne veux pas que ce soit publié tant que je vivrai. Je dirai des choses qui vont sûrement choquer.»