Une petite compagnie inconnue il y a une semaine, axée sur des oeuvres scéniques peu jouées ici, se manifeste en montant le très rare Curlew River de Benjamin Britten, pour le centenaire du compositeur, attire quelque 200 personnes au Conservatoire un samedi soir et, mieux encore, offre de l'étrange «parabole d'église» une réalisation techniquement au point, émouvante et fascinante jusqu'à la fin de ses 75 minutes sans entracte.

Cette étonnante réussite, on la doit à Ballet-Opéra-Pantomime, fondé et administré par des élèves du Conservatoire de Montréal. Le nom lui-même est tout un programme et suscite la curiosité quant aux présentations futures.   

Pour l'instant, voici Curlew River, première des trois «parables for church performance» que Britten composa avec William Plomer comme librettiste. L'unique présentation précédente ici date de l'Expo 67: Britten et son English Opera Group la donnèrent alors à l'ancienne église Saint-Jacques dont il ne reste que le clocher, au coeur de l'UQAM, rue Saint-Denis.   

Britten y reprend la formule épurée du théâtre nô qu'il avait découvert au Japon en 1956. Le livret est d'ailleurs basé sur une pièce qu'il vit là-bas où il est question d'une femme devenue folle à la suite de la disparition de son enfant. Le Passeur, qui l'accepte avec réticence dans son embarcation, lui apprendra la mort de l'enfant et lui montrera l'endroit où il est enterré.   

Inventeur d'un monde souvent très particulier, Britten a confié le rôle de la mère à un homme, plus précisément au compagnon de sa vie, le ténor Peter Pears, qui créa Curlew River en 1964 dans une petite église d'Angleterre.   

En dépit de moyens scéniques et budgétaires limités, les jeunes de BOP ont produit un spectacle fidèle à l'esprit de l'oeuvre. Les cinq portails que les interprètes eux-mêmes déplacent sont toutefois inutiles : un seul suffirait à suggérer l'embarcation. Par ailleurs, la Folle (la Madwoman de l'original) produirait plus d'effet en portant un masque. Des photos de la création montrent Peter Pears portant effectivement un masque. Ce sont nos seules réserves.   

Comme le demande Britten, le spectacle commence et se termine par une procession de moines chantant du grégorien. Quelques-uns deviennent, sous d'autres costumes, les personnages du drame, pendant que les autres commentent ce qu'ils voient. Tous sont excellents comme acteurs et comme chanteurs, principalement le baryton Cairan Ryan, qui défend ici le rôle le plus long, celui du Passeur. Leur mérite à tous est d'autant plus grand que Britten mêle ici chant, parlé et déclamation chantée.   

Mis à part le petit Robin Fleury pour les quelques phrases de l'enfant retrouvé, ou plutôt de l'Esprit, à la toute fin, la distribution est complétée par trois jeunes Américains : Andrew Bogard et Samuel Henkel, aux barytons fermes et bien projetés, et Kyle Bielfield, qui sait donner à son ténor juste ce qu'il faut de couleur pour suggérer un personnage féminin.   

Disposés de chaque côté du plateau, les sept instrumentistes requis par Britten accompagnent chacun des personnages et donnent du relief aux situations.

CURLEW RIVER, «parabole d'église» en un acte, livret de William Plomer, musique de Benjamin Britten, op. 71 (1964). Production: Ballet-Opéra-Pantomime. Mise en scène: Florence Blain. Décors et costumes: Marianne Benny-Perron. Éclairages: Andréa Marsolais-Roy. Direction musicale: Hubert Tanguay-Labrosse. Avec surtitres français et anglais. Salle de concert du Conservatoire. Première hier soir. Reprise auj., 15 h.