Déjà que le titre Concerto de l'asile faisait appréhender le pire, fallait-il donc que le chef invité, Ludovic Morlot, en rajoute? Hélas! oui, M. Morlot en rajouta.

On croyait rêver. Alain Lefèvre et l'OSM s'étaient lancés à 20 h 17, très exactement, dans la nouvelle oeuvre de Walter Boudreau dont ils assuraient la création - création mondiale, de renchérir le programme imprimé. À 20 h 21, après quatre minutes de bing-bang au piano et de bing-bang à l'orchestre, tout s'arrête. Pas un bruit, personne ne bouge, un grand trou noir.

De petite taille et à peine visible derrière la queue du piano, le chef se retourne vers la salle et marmonne quelque chose - en anglais. On comprend qu'il va faire reprendre une partie de ce qui vient d'être joué. De toute évidence, un désaccord s'est produit quelque part entre lui, l'orchestre et le pianiste. Tous reprennent donc la route, à un endroit de la partition connu d'eux seuls.

L'écoute reste difficile pendant de longues minutes car on vient d'assister à un bien triste spectacle, celui d'un chef français qui, invité à diriger ici la création d'un concerto d'un compositeur d'ici, par un pianiste d'ici, s'adresse au public d'ici en anglais, comme s'il se trouvait à Toronto ou à New York, et n'a même pas la présence d'esprit de réparer sa bêtise en traduisant immédiatement ce qu'il vient de dire. Triste spectacle aussi que celui de cette salle presque comble où personne n'a osé crier «En français!».

Des quelque 33 minutes indiquées dans la partition, le Concerto de l'asile est donc passé à 40 minutes: c'est le plus récent calcul de l'auteur, c'est aussi la durée lors de cette création (compte tenu de la portion du début jouée deux fois et des applaudissements entre les mouvements).

L'oeuvre puise son inspiration dans l'univers de la folie et traduit ce climat de diverses façons à travers les trois mouvements. La partie de piano, qui prend ici autant (et parfois plus) de place que l'orchestre, est atrocement difficile, avec sa rageuse cadence à la fin du premier mouvement, ses accords plaqués avec violence, ses folles arabesques et son caractère général d'improvisation. On comprend que Lefèvre joue cela avec la partition et une tourneuse de pages. Bien que moins sollicité, l'orchestre participe au délire en des raffinements sonores étranges, surréalistes et souvent convaincants. Il y a là, notamment, une petite valse qui revient et revient avec une troublante insistance... Le tout est simplement trop long: 40 minutes. Il faudrait resserrer, principalement au premier mouvement.

Fou de joie, le compositeur a embrassé pianiste et chef et salué la foule debout. Son oeuvre a d'ailleurs complètement éclipsé tout ce qui l'entourait. M. Morlot a d'abord dirigé un prélude de Meistersinger trop fort dans les passages solennels et indifférent dans les passages lyriques. Une partie de la salle s'est vidée après le Boudreau. Et qu'est-il resté? Des Images de Debussy qui, déjà bien longues comme telles (34 minutes), ont paru interminables, parce que dirigées sans relief et sans le moindre souci de rafraîchissement de couleurs trop familières.

En début de concert, une voix a annoncé que le concert était donné à la mémoire de Yuli Turovsky.

________________________________________________________________________

ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef invité: Ludovic Morlot. Soliste: Alain Lefèvre, pianiste. Mardi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Reprise mercredi, 20 h. Séries «Grands concerts». Radiodiffusion: Radio-Canada, 22 janvier, 20 h.

Programme:

Prélude de l'opéra Die Meistersinger von Nürnberg (1868) - Wagner

Concerto de l'asile, pour piano et orchestre (2012) (création) - Boudreau

Images (1906-1912) - Debussy