On peut désormais parler de Serhiy Salov comme d'un grand pianiste. Le parcours aura pris quelques années, depuis ce premier prix au Concours international de Montréal de 2004 qui, pour les observateurs perspicaces, couronnait le virtuose. Le virtuose est toujours là, conjuguant prodigieuse clarté de jeu et écrasante puissance sonore, mais c'est maintenant l'interprète qu'on écoute d'abord.

De la part du Festival Bach, l'idée était originale de placer le pianiste ukrainien de 33 ans devant deux mondes, soit Bach, bien sûr, et Beethoven, et de les associer grâce à un élément commun, la fugue, cet ingrédient essentiel du langage de Bach auquel Beethoven conféra une nouvelle et flamboyante personnalité dans son immense Sonate Hammerklavier, op. 106.

Salov joua d'abord, de Bach, la très longue quatrième Partita, en ré majeur, BWV 828, en l'encadrant des deux ricercares (ou fugues), respectivement à trois et à six voix, de l'Offrande musicale. Salov aborde Bach en pianiste, sans jamais chercher à suggérer le clavecin, sans emphase romantique, mais sans ignorer pour autant les accents et nuances propres au piano. Par-dessus tout, il respecte le côté austère de cette musique et en fait ressortir l'extraordinaire architecture.

De ce sommet absolu qu'est la Hammerklavier, Salov se révèle, à un âge relativement jeune, un très digne interprète. Il se lance dans le premier mouvement avec violence et y fait bien des fausses notes, mais on comprend, par ce qui suit, qu'il s'agissait d'un débordement passager et bien compréhensible: Salov s'attaquait à l'une des oeuvres les plus redoutables qui soient et voulait absolument gagner. Et il a gagné. Son exécution prit 44 minutes, dont 19 pour le sublime mouvement lent. Il y atteignit le niveau d'expression des plus grands beethovéniens, pour faire ensuite éclater avec une force démentielle les fugues qui se font écho aux deux mains.

SERHIY SALOV, pianiste. Mercredi soir, Chapelle historique du Bon-Pasteur. Dans le cadre du sixième Festival Bach de Montréal.